Dans son récital « Paris, mon amour », Sonya Yoncheva a eu l’excellente idée d’inclure l’air « Le jour sous le soleil béni », tiré de Madame Chrysanthème (1893) d’André Messager. Voilà justement une de ces œuvres totalement oubliées, dont on ne connaît plus guère qu’une page. La coexistence au répertoire de la Manon de Massenet et de la Manon Lescaut de Puccini étant l’exception qui confirme la règle, Madame Butterfly a eu le dessus sur Madame Chrysanthème. La source littéraire étant la même au départ – Le Mariage de Loti, de Pierre Loti – on ne s’étonnera pas des similitudes : ici, Pinkerton s’appelle Pierre et Sharpless Yves, Goro devient Kangourou, et Suzuki est Madame Prune. Mais par ailleurs, Madame Chrysanthème a certaines parentés avec Lakmé, son prédécesseur direct dans la veine coloniale de l’opéra-comique français : l’héroïne est une chanteuse qui interprète son grand air au deuxième acte, devant la foule réunie pour une fête, devant la foule, et Malika devient Oyouki, avec duo des fleurs inclus (duo des harpes, ici). C’est un peu Lakmé avec le wagnérisme en plus (on entend de loin Tristan dans le duo d’amour), avec des harmonies à la Chabrier, et bien sûr l’invention mélodique propre à Messager. Loin du vérisme italien, sans hémoglobine ni chantage affectif, Madame Chrysanthème ne devrait pas être condamné pour sa conclusion sexiste (« là-bas comme chez nous, les femmes sont toujours des femmes »), et les directeurs de théâtre feraient bien d’écouter la quasi-intégrale que repropose Malibran pour découvrir une œuvre en tous points charmante. Et si en plus Sonya Yoncheva était prête à chanter le rôle en entier…
André Messager, Madame Chrysanthème, 1 CD Malibran MR664 – 75’06