Jovial, bonhomme, Stéphane Lissner répond en italien à son interlocuteur. Le flamboyant directeur est dans son bureau, il parle un italien parfait mâtiné d’un léger accent, comme en son temps Jacques Chirac quand il s’exprimait dans la langue de Yeats. Nous sommes le 7 mai. Stupéfaits, les observateurs se disent « que fait Stéphane Lissner dans son théâtre à Naples alors qu’il devrait être dans son theatre à Paris à régler l’une des pires crises structurelles d’une maison qui vit pourtant au rythme des crises structurelles ? »
Certains, mauvais, osent s’indigner de cette double casquette consubstantielle au métier de directeur d’opéra. Les valises entre deux villes, le cœur à Naples, les souliers à Paris. Ou inversement. Bientôt, l’imbroglio est dissipé : Stéphane Lissner n’est en fait plus là. Il est déjà à Naples et quittera Paris plus tôt. Un communiqué du ministre de la culture tresse d’infinies louanges au directeur sortant et, chemin faisant, mandate le directeur-elect, Alexander Neef, pour une mission spéciale. Un grand inventaire des maux de l’Opera de Paris. Un compendium, en somme, de l’affliction qui bientôt s’abattra sur Garnier et sur Bastille. Rien de plus logique, explique Lissner, qu’un directeur sortant gère une crise qui affectera essentiellement le projet (et les employés) de son successeur. Comment lui donner tort ?
Seulement, Alexander Neef fait savoir à la presse que son arrivée prématurée à Paris – qui elle-même présuppose un départ anticipé de Toronto, théâtre qu’il dirige – n’est en fait pas totalement acquise. Silence consterné.
Ce vendredi soir, les employés de l’Opera de Paris resteront sur cet étrange charivari. Nous n’excluons pas qu’ils s’en trouvent considérablement perturbés et qu’ils s’interrogent sur le fascinant ballet du pouvoir. Comment leur donner tort ?
Mise à jour – 13 juin 4h30 : Nouveau rebondissement ce soir, dans une interview accordée au Figaro, le futur directeur de l’Opéra de Paris confirme son arrivée prochaine en France dès la levée du confinement et revient sur cette situation inédite: « il refuse de juger la décision de Lissner mais (prévient qu’) il va falloir s’organiser », en particulier travailler sur sa succession à Toronto et se contenter de 6 mois de recouvrement avec Lissner, lorsque deux ans est déjà un délai court dans le monde de l’Opéra.
Alexander Neef détaille ensuite avec beaucoup de sérénité les différents chantiers qu’il devra affronter.