Les deux chanteurs qui ont succédé à Pretty Yende et Piero Pretti dans Lucia di Lammermoor effectuent leurs débuts à l’Opéra de Paris. L’un comme l’autre ont moins de six ans de carrière derrière eux. Né au Kosovo, Rame Lahaj, que Laurent Bury a récemment interviewé dans nos colonnes, a fait ses premiers pas de professionnel dans le rôle d’Alfredo (La Traviata) en 2010 au Festival d’Eutin en Allemagne. Depuis, il a connu une ascension rapide. Lauréat de nombreux concours internationaux, il a déjà été engagé sur plusieurs scènes importantes d’Europe (Dresde, Berlin, Bruxelles, Salzbourg…). En France, Montpellier a accueilli son Rodolfo (La Bohème) et plus récemment il a interprété Edgardo à Limoges, Reims et Nancy, avant de l’incarner à Bastille. Un peu hésitant lors de son entrée en scène, le ténor a très vite conquis le public grâce à son timbre ensoleillé et son indéniable présence scénique. On oubliera un ou deux aigus un peu serrés en début de soirée pour ne retenir que son implication dramatique intense lors de la scène du mariage et son « Tombe degli avi miei » aux accents poignants. Si sa voix est moins claironnante que celle de Pretti, sa ligne de chant subtilement nuancée traduit à merveille les différents états d’âme du personnage.
Nina Minasyan devient soliste de l’Opéra studio du conservatoire d’Erevan en 2010. L’année suivante elle intègre le programme des jeunes artistes du Bolchoï où elle se perfectionne auprès de chanteurs de renom comme Elena Obraztsova ou Evgeny Nesterenko. Elle y interprète de nombreux seconds rôles avant de se voir confier la Reine de la nuit qu’elle chante à nouveau à Berlin en 2014. La saison dernière, Munich avait déjà pu l’applaudir dans Lucia. Elle aborde ce rôle avec des moyens différents de ceux de Pretty Yende. Le volume est légèrement moindre et les variations sont émises avec parcimonie, point de contre-mi interpolé dans le duo du premier acte avec Edgardo, par exemple. Pourtant la fraîcheur de son timbre, la pureté de son registre aigu et la délicatesse de son phrasé en font une Lucia fragile, d’autant plus touchante qu’elle semble égarée dans l’univers viril voulu par Andrei Serban. Sa scène de la folie qui privilégie l’émotion au spectaculaire lui vaut un triomphe bien mérité.
Les autres rôles sont toujours aussi impeccables. Artur Ruciński en grande forme nous a gratifiés de notes longuement tenues, notamment à la fin de sa cabalette du premier acte.
(Lucia di Lammermoor, représentation du 26 octobre 2016 à l’Opéra National de Paris-Bastille).