La nouvelle production de la Manon Lescaut de Puccini retransmise en direct du Met dans les cinémas ce samedi 5 mars et déjà vue à Baden-Baden en 2014, transpose l’action dans les années 40, plaçant ainsi les personnages dans une époque troublée, en accord avec l’intrigue. Pourquoi pas ? Sauf que dans ce contexte la déportation de l’héroïne en Louisiane paraît tout à fait incongrue.
Le rideau se lève sur la terrasse d’un café fréquenté par des jeunes gens et des soldats. Au second plan, la gare où Manon arrivera, à droite une auberge. Le deuxième acte se situe dans le somptueux hôtel particulier du collabo Géronte où trône, au centre, un escalier monumental et à gauche une colonne ornée de bas-reliefs licencieux. Au trois, une prison occupe le premier plan. Derrière elle on aperçoit la proue d’un navire. Le dernier acte enfin se déroule non pas dans un désert mais dans les décombres d’un immeuble détruit par les bombardements. Sir Richard Eyre qui avait déjà signé la mise en scène de Carmen filmée in loco en 2010 avec Elina Garanca et Roberto Alagna, propose une direction d’acteurs aussi habile que précise. Il n’est pas un geste qui soit laissé au hasard, tout dans le jeu des acteurs concourt à une parfaite lisibilité de l’action.
Au pupitre, Fabio Luisi propose une direction d’une rare intensité dramatique. Dès les premières mesures, on comprend que la soirée sera exceptionnelle d’un point de vue musical.
Les seconds rôles n’appellent que des éloges, en particulier Zach Borichevsky qui effectue des débuts remarqués au Met dans le rôle d’Edmondo tout comme la jeune soprano française Virginie Verrez, impeccable dans le rôle travesti du musicien.
Brindley Sherratt campe un Géronte libidineux et vindicatif à souhait tandis que Massimo Cavaletti déçoit dans le rôle de Lescaut. La voix ne manque pas d’atouts mais la caractérisation du personnage n’est guère concluante.
Kristine Opolais possède un physique d’actrice de cinéma ce qui constitue un avantage pour une retransmission sur grand écran. La robe moulante qu’elle porte au deuxième acte évoque les stars de la grande époque d’Hollywood. Son jeu très convaincant est à la hauteur de son apparence. Et la voix ? Force est de reconnaître que le timbre n’a rien d’exceptionnel et que le registre grave est insuffisant. Si l’on ferme les yeux lorsqu’elle chante « In quelle trine morbide » on s’aperçoit qu’elle n’exprime pas grand chose. Il faut attendre le dernier acte pour que l’émotion soit enfin au rendez-vous et qu’elle s’investisse dans son personnage. Sans doute galvanisée par son partenaire, elle livre un « Sola, perduta, abandonata » poignant tout comme ses dernières répliques.
Il en va tout autrement, on l’aura compris, du Des Grieux de Roberto Alagna qui se hisse d’emblée au niveau des plus grands titulaires du rôle. Son incarnation est tellement aboutie qu’on a du mal à croire qu’il a appris la partition en catastrophe pour remplacer Jonas Kaufmann souffrant. Sa silhouette, tout comme sa façon de se mouvoir en scène évoquent le jeune étudiant qu’il est censé incarner. C’est à peine si les gros plans trahissent le passage des ans. En grande forme vocale, le ténor nous livre une prestation miraculeuse où son tempérament latin fait merveille. Jeune homme romantique au premier acte, amant passionné au deux, désespéré aux trois et quatre, tous les affects du personnage sont caractérisés avec une sincérité, une spontanéité qui forcent l’admiration. Comment ne pas avoir la larme à l’œil lorsque ce Des Grieux supplie avec des accents déchirants le commandant du navire de l’emmener avec lui ou se lamente devant l’agonie de Manon ? C’est par une ovation debout que le public new-yorkais a salué cette performance au rideau final.