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Alors que tout Paris bruisse déjà d’impatience en attendant le prochain Voyage d’hiver de Jonas Kaufmann au Théâtre des Champs-Elysées, un autre ténor, Pavol Breslik, s’est confronté à un autre cycle schubertien, La Belle Meunière, dans une autre salle, l’Amphithéâtre de l’Opéra-Bastille, le 3 avril dernier. Caser cette œuvre, écrite, en 1823, par un compositeur déjà au faîte de sa maturité artistique, entre deux représentations de La Flûte Enchantée, est aussi courageux que délicat, car toutes les ressources expressives de la voix y sont suscitées, à un moment ou à un autre. C’est peut-être pour cette raison que le jeune ténor slovaque semble légèrement tendu aux premières minutes du concert : « Das Wandern » n’a pas tout à fait la fraîcheur un peu naïve de celui qui n’a pas encore été mordu par l’amour. Mais rapidement, l’expression s’étoffe, le regard se voile, et la voix plie sa vigueur naturelle aux aléas de ces quelques vingt mélodies. « Der Neugierige », à la nostalgie savamment dosée, précède une « Ungeduld » si exaltée qu’elle déclenche quelques applaudissements. « Mein ! », et son mélange de joie et de fierté, cède vite la place à une colère aux éclats maîtrisés (« Der Jäger »), et à un final magistral, où les trois dernières pièces semblent ne former qu’une seule et même scène, un vaste lamento sur la douleur et le renoncement à la vie. Cette intensité, qui va crescendo tout au long du concert, on la doit aussi à l’excellent Amir Katz, accompagnateur consciencieux des moindres inflexions du chanteur, et surtout coloriste hors pair ; c’est tout un paysage mouvant, tantôt réaliste, tantôt halluciné, qui se dessine et se module à l’infini sous ses doigts. C’est dans les sonates du même Franz Schubert qu’on rêve maintenant de l’entendre. [Clément Taillia]