En 1918 après avoir applaudi Phi-Phi, le philosophe Henri Bergson en personne, qui n’avait pas spécialement la réputation de faire preuve d’une complaisance excessive en tant que spectateur, avait pourtant dédicacé un exemplaire du « Rire » à Willemetz, co-librettiste de la fameuse opérette, pour lui témoigner sa gratitude. On peut imaginer qu’à l’époque, la scénographie ne s’encombrait pas de circonvolutions sur la mise en perspective de l’œuvre depuis l’antiquité qui l’inspire jusqu’au présent de sa représentation. Elle ne s’épuisait pas davantage en réflexions subliminales sur la psychologie et moins encore sur la surface existentielle des personnages, toutes notions un tantinet parasites que semblent hélas induire le recours aux marionnettes, démembrées qui plus est (pour appuyer le trait ?), venues doubler les protagonistes lors des répliques dans la mise en scène de Johanny Bert. Le rapport du public au rire est frontal chez Willemetz : il joue du calembour sans détour, s’amuse de clins d’œil grivois et réparties salaces cinglantes au rythme et au diapason de la musique syncopée de Christiné. Moralité : Bergson aurait sans doute nuancé ses transports s’agissant de la reprise de Phi-Phi samedi 12 mai à la Maison de la Culture de Clermont-Ferrand, dans la production de la Compagnie Les Brigands de décembre 2010 au Théâtre de l’Athénée à Paris. S’il en était besoin, la partition devrait dissuader d’une telle lecture, aux prétentions certes louables mais un rien trop introspectives, risquant le hors sujet. Le parti pris de Johanny Bert paraît chercher midi à quatorze heures dans cette parodie de l’antiquité Grecque, dissimulant pourtant si peu un pied de nez aux bonnes mœurs. L’artifice de la marionnette, procédé de mise en abîme dont Bert était jusque-là familier avec bonheur, peine à trouver ici une vraie crédibilité. Car le Phi-Phi de Christiné n’avance pas masqué et fait fi de tout second degré à l’image de la pétillante Aspasie de Lara Neumann, savoureusement boulevardière, ou d’une Emmanuelle Goizé ne manquant pas plus d’aplomb vocal que d’émoustillants arguments en femme… fatale à la réputation de son sculpteur de mari ; un Gilles Bugeaud qui le lui rend bien dans la duplicité si ce n’est l’engagement vocal. Demi-teinte que rend d’autant plus patente côté chant la faconde d’Olivier Hernandez, Ardimédon caricature de chippendale du Belvédère, et côté comédie la rouerie d’un Antoine Sastre. Mais basta, l’orchestre sous la férule de Christophe Grapperon ne manque pas d’étoffe et sort de la fosse avec un entrain et une pétulance que partage un revigorant chœur des « vierges ». [RD]
Henri Christiné, Phi-Phi, opérette en trois actes, version pour cinq solistes, chœur de neuf femmes et dix musiciens – Maison de la Culture de Clermont-Ferrand, samedi 12 mai, 20heures – Compagnie Les Brigands – Mise en scène, Johanny Bert ; Direction musicale, Christophe Grapperon ; Gilles Bugeaud, Phi-Phi ; Emmanuelle Goizé, Madame Phidias ; Christophe Grapperon, Périclès ; Olivier Hernandez, Ardimédon ; Lara Neumann, Aspasie ; Antoine Sastre, Le Pirée.