Les Proms de Londres se sont récemment transformés en vaste forum sur la question du Brexit. Chaque année, les Promenade concerts brassent la fine fleur de la vie musicale britannique ; vitrine exceptionnelle pour les artistes internationaux qui peuvent se produire devant un public très vaste, composé de connaisseurs comme de dilettantes. La musique classique étant un art vivant, il est logique que les préoccupations de la société y apparaissent en filigrane.
La question du Brexit a été abordée pour la première fois cette année à l’occasion d’un concert du pianiste Igor Levitt qui, en guise de bis, avait joué une transcription de l’Hymne à la joie de Beethoven en arborant un pin’s aux couleurs Européennes. Puis, c’est Daniel Barenboïm qui – avant de diriger la seconde symphonie d’Elgar – prit la parole pour rappeler les valeurs fondamentalement européennes du compositeur britannique, soulignant au passage son dégout du repli identitaire.
Ces deux initiatives ont provoqué l’ire d’une partie de l’establishment et – surtout, peut-être – un peu de crainte du côté de la BBC, organisateur de l’événement. Sans se positionner sur le fond, l’auguste maison de télé et radiodiffusion ne souhaite sans doute pas que les Proms prennent la forme de ces petites tribunes improvisées qu’on trouve dans Hyde Park et où tout un chacun peut interpeller ses contemporains en gesticulant comme Diogène.
Le 30 juillet dernier, une exécution de la dernière symphonie de Beethoven a été le théâtre de nouveaux débats. Pendant le quatrième mouvement – le célèbre hymne à la joie, sur un texte de Schiller – des membres de l’assistance ont sorti de petits drapeaux européens et les ont agités au rythme syncopé de la symphonie, initiative singulière dans n’importe quelle salle de concert, mais pas aux Prom’s où pléthore de drapeaux voltigent sur les musiques les moins voltigeuses. C’est l’intervention du service de sécurité du Royal Albert Hall qui a fait couler beaucoup d’encre, dans la mesure où les zélateurs de l’Union Européenne se sont vus confisquer leurs précieuses bannières étoilées, alors que d’autres drapeaux volaient encore dans le ciel en toute liberté.
L’organisation justifie ses élans liberticides en prétextant que l’apparition de drapeaux constitue une gêne considérable à la fois pour le public et pour les musiciens mais le journaliste Norman Lebrecht rappelle que c’est surtout l’intervention musclée du service d’ordre qui a mis le boxon dans la salle. Et s’il convient de s’interroger sur l’opportunité de crier son amour aux troupes du séduisant Jean-Claude Juncker dans une salle de concert, au moins peut-on se féliciter que la vie y suive son cours et que le débat d’idées y soit admis.