« Eh bien ça me fait plaisir ! » lance Marie-Nicole Lemieux face aux applaudissements nourris qui l’accueillent et résonnent comme une promesse de triomphe. La popularité dont jouit l’artiste dans la capitale européenne depuis sa victoire au Concours Reine Elisabeth en 2000 attise sans doute un tempérament volcanique et l’incite à se lâcher comme jamais. D’aucuns diront qu’il n’en faut pas beaucoup pour ce faire, mais le 30 septembre dernier, au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, la Québécoise a sorti le grand jeu : ça passe ou ça casse, mais ne laisse personne indifférent. Et le récital belcantiste de se transformer en un show inénarrable, quelque part entre la Folie de Platée et les sketchs d’Anna Russell. La souriante aria liminaire (« Son come farfaletta ») se prête plutôt bien à une cadence burlesque où la diva s’écoute chanter et semble rire d’elle-même, mais cette théâtralisation tourne vite au système, à grands renforts de poitrinages outranciers (la chanteuse se présente désormais comme un mezzo et non plus comme un contralto, ce dont un timbre fort clair ne nous avait jamais convaincu) et de ports de voix qui donnent le tournis, suscitant la perplexité et agaçant d’autant plus qu’il altère le plaisir que nous procure l’opulence d’un organe à l’ampleur inhabituelle dans ce répertoire. L’agilité n’est pas exactement son fort, mais que le souffle vienne à manquer et Marie-Nicole Lemieux en joue, ahane ostensiblement (« S’impugni la Spada ») et souligne avec malice la dimension sportive de cette débauche virtuose. Ses détracteurs diront que Vivaldi ne mérite pas mieux que ce style débraillé, mais Cecilia Bartoli et les artistes qui ont pris part à l’immense travail éditorial de Naïve ont montré que le compositeur excelle aussi dans le pathétique, registre que le programme néglige en donnant exclusivement dans le brillant et dans la saillie. Seule concession à l’émotion, le « Così potessi anch’io » d’Alcina (Orlando furioso) est pris d’emblée à un tempo trop vif et souffre d’un accompagnement prosaïque, Lemieux chargeant d’effets appuyés une lecture nerveuse à mille lieue de l’interprétation dépouillée et autrement poignante de Jennifer Larmore. La performance du Venice Baroque Orchestra est à l’avenant et renchérit dans l’étalage pyrotechnique (concertos de Vivaldi pour flûte (RV 443) et violon (RV 212a), concerto grosso « La Follia » de Geminiani), péchant par un manque criant de poésie et de cantabile dans les mouvements lents. Marie-Nicole Lemieux, qui semble décidément de très bonne humeur et parfaitement à l’aise, fera savoir après l’entracte qu’elle rencontrera le public sur scène à l’issue du concert, soit après un bis aux accents redoutables et particulièrement bien servi par sa vocalité explosive (« Svena, uccidi, abbatti, atterra », Bajazet). [Bernard Schreuders]
Récital Vivaldi. Marie-Nicole Lemieux, mezzo, Venice Baroque Orchestra. Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, 30 septembre 2013.