C’est un travail de longue haleine qui vient de s’achever dans les locaux des éditions Universal de Vienne. A grand renfort de ruban adhésif et de caféine, l’ensemble de l’équipe a pu reconstituer la partition de l’unique opéra de Pierre Boulez, qui fut passée au broyeur au début des années 1990 par un copiste distrait.
C’est donc avec impatience et curiosité que nous aurons le plaisir de découvrir L’aile ou la cuisse, fantaisie lyrique en quatre parties sur un livret de Patrice Chéreau, d’après le film à succès de Claude Zidi. Dans une conférence donnée à Darmstadt, le maître de Montbrison résumait son intérêt pour le sujet en ces termes : « Zidi est un maître de l’ascèse, et la rigidité d’écriture qui le caractérise est portée à son faîte dans L’aile ou la cuisse. Il y a quelque chose de post-wébernien dans cette direction d’acteur sobre et expressive, des souvenirs de Berg dans la dramaturgie de l’action. La lutte de Duchemin contre le géant de la distribution Tricatel est de plus une formidable illustration de la résistance de l’avant-garde musicale face aux sirènes de la pop-culture. Vraiment, c’est une œuvre-monde ! ». On trouvait les prémices de cette admiration dans une brève page pour soprano, flûte, cymbalum et système de diffusion octophonique intitulé Tout, vous saurez tout sur le Zidi, que le compositeur retira promptement de son catalogue, craignant de s’attirer les foudres du clan Perret.
Pour l’évènement de premier plan que sera la création de cet opus ultimum, le Festival Manifeste a mis les petits plats dans les grands. Créateur du rôle de l’infatigable Charles Duchemin, Roberto Alagna nous a immédiatement fait part de son enthousiasme : « En tant que grand interprète de la musique d’aujourd’hui – peut-être le plus grand que le chant français ait connu –, je me devais de participer à un projet aussi excitant ». Avatar capillaire de Coluche, Rolando Villazon sera un fils Duchemin, plus attiré par le cirque que par la gastronomie. Sabine Devieilhe sera la ravissante Marguerite, tandis que Stéphane Degout prêtera toute sa noirceur à l’incarnation du maléfique Jacques Tricatel. Enfin, Philippe Bouvard a accepté de suspendre une retraite bien méritée afin d’incarner son propre rôle pour la scène sur le plateau de « Tous les coups sont permis ».
Philippe Herreweghe dirigera l’Ensemble intercontemporain dans une interprétation historiquement informée sur synthétiseurs d’époque.