Composés à Hambourg, qu’il s’apprêtait à quitter, et à Vienne, où il venait de s’installer, les quinze Lieder formant La Belle Maguelonne montrent un Brahms réinventant, dans une belle tradition romantique, les codes de la littérature médiévale. L’amour (forcément courtois) s’y trouve embarqué dans une épopée impressionnante, dont les rebondissements multiples prescrivent l’intervention d’un récitant. A l’Amphithéâtre Bastille, mardi dernier, 16 avril, c’est Marthe Keller qui s’y collait. L’actrice, dont le goût pour la musique s’est déjà exprimé à plusieurs reprises, notamment à travers la mise en scène d’opéra, dit son texte avec la distance bienveillante qui convient à un tel conte. Robustesse, ardeur, poésie, éloquence, subtilité, virilité : ce cycle exige tout du chanteur. Et Roman Trekel, avec sa voix solidement charpentée où seuls les aigus pâlissent quelque fois, a tout, en sus de sa longue fréquentation de l’œuvre qu’il a enregistrée, il y a dix ans déjà, chez Oehm. Son accompagnateur de l’époque, Oliver Pohl, remplace Philippe Jordan, qui devait faire pour l’occasion ses débuts de pianiste à l’Opéra. Volontiers enchanteur et idyllique (« Sind es Schmerzen, sind es Freuden »), il fait de son clavier l’écrin idéal pour que cette soirée soit frappée du sceau de la poésie. [Clément Taillia]
Johannes Brahms Romanzen aus Ludwig Tiecks Magelone pour voix et piano, op. 33 – Marthe Keller Récitante ; Roman Trekel Baryton ; Oliver Pohl Piano – Amphithéâtre Bastille, mardi 16 avril