Si les premières représentations de Sémiramis au Metropolitan Opera ont été perturbées par quelques annulations dues aux rigueurs de l’hiver, comme le souligne Yannick Boussaert dans son compte-rendu de la soirée du 24 février, celle du 10 mars, retransmise à travers le monde dans les cinémas, affichait la totalité des artistes initialement prévus en grande forme vocale, jusque dans les plus petits rôles. Ainsi les quelques répliques d’Azema font entendre le timbre frais et juvénile de la jeune Sarah Shafer tandis qu’avec sa voix sombre et sonore, Jeremy Galyon rend d’autant plus impressionnantes les interventions du spectre de Ninio. Le baryton-basse Ryan Speedo Green possède également un registre grave étoffé qui confère au grand prêtre Oroe toute l’autorité requise.
Grand habitué du Metropolitan Opera depuis 2004, Ildar Abdrazakov qui chantait ici même Figaro dans Les Noces au mois de janvier, aborde le rôle d’Assur avec une voix qui s’épanouit davantage dans le haut de la tessiture que dans les graves, un rien confidentiels. La basse, qui possède quelques rôles bouffe de Rossini à son répertoire (Basile, Mustapha, Selim), aborde le personnage d’Assur avec un bagage belcantiste solide qui lui permet d’affronter sans faillir, mais non sans une certaine prudence, les coloratures impressionnantes qui émaillent sa partie. La séduction immédiate du timbre et le jeu subtil de l’acteur emportent totalement l’adhésion.
Javier Camarena en revanche aborde les terrifiantes vocalises du rôle d’Idreno avec une vélocité et une assurance sans faille. La voix, homogène sur toute la tessiture, culmine sur des suraigus claironnants. A-t-on jamais entendu les deux airs que comporte le rôle chantés sur scène avec une telle aisance sans que la moindre difficulté ne soit esquivée ? Le triomphe qui accueille le ténor au salut final est à la hauteur de sa formidable prestation.
Les deux interprètes féminines ne sont pas en reste. Elizabeth DeShong qui avait déjà fait sensation à Bordeaux en 2016 dans le même rôle, incarne un Arsace miraculeux, à la fois héroïque et touchant. Depuis Marilyn Horne, on n’avait guère entendu ce personnage chanté avec autant d’énergie et d’aplomb. La mezzo-soprano américaine possède une voix robuste et bien timbrée, des aigus percutants et un registre grave sonore sans être appuyé. La grammaire belcantiste n’a semble-t-il pas de secret pour elle, comme en témoignent les variations audacieuses dont elle orne sa partie.
Angela Meade enfin, semble avoir gagné en assurance au fil des représentations, l’incarnation tant scénique que vocale est tout à fait accomplie. Qui croirait qu’une voix aussi puissante soit capable de vocaliser avec autant d’agilité et d’exécuter des variations insensées qui culminent au contre-mi bémol, émis avec une facilité déconcertante ? La soprano américaine sait varier les couleurs et nuancer sa ligne de chant à bon escient. Sa Sémiramis se hisse d’emblée au niveau des plus célèbres interprètes du personnage.
Toujours attentif aux chanteurs, Maurizio Benini conduit l’excellent orchestre du Metropolitan Opera avec une précision et une énergie sans faille, sans faire d’esbrouffe. Dommage que de nombreuses coupures intempestives en début de retransmission ne nous aient pas permis d’apprécier sa manière de diriger l’ouverture.
Créée en 1990, la production de John Copley avait fait l’objet d’une captation avec la fine fleur du chant rossinien de l’époque, Anderson, Horne et Ramey. Elle n’avait plus été reprise depuis 1993. Avec ses décors monumentaux et ses dorures, ses costumes aux teintes chatoyantes, jaune, orange, ocre ou rouge sur fond bleu, ce spectacle apparaît comme un hommage appuyé aux péplums hollywoodiens des années 50, façon Cecil B. DeMille. Dommage que la direction d’acteurs soit on ne peut plus sommaire et les chœurs désespérément statiques.
La prochaine retransmission dans les cinéma du réseau Pathé Live aura lieu le samedi 31 mars et sera consacrée à Così fan tutte de Mozart.