Conseil aux directeurs d’Opéra, quand vous envisagez d’engager Anna, engagez Elena, on n’y perd pas au change… 19h30 précises à Bastille hier lorsque l’annonceur de mauvaises nouvelles confirma la rumeur d’annulation pour « raisons personnelles » d’Anna Netrebko. Gala de l’AROP oblige, bronca, violentes huées et hurlements « remboursez » firent trembler l’enceinte de Bastille au point de couvrir la voix du malheureux messager lorsqu’il donna le nom de la remplaçante. A peine entendit-on qu’il s’agissait d’une jeune chanteuse : Elena Stikhina. La soirée débutait fort mal. Et puis, après les premières notes un peu lourdes de l’ouverture, une voix ample, immense même, pure et cristalline résonna du fond de la scène de Bastille (ce qui est doublement prodigieux). Et cette première impression alliant infinie douceur et puissance phénoménale, musicalité, phrasé et souffle (et quel souffle !) allait se confirmer tout au long de la soirée. Un miracle s’était produit ; la magie venait d’investir la scène de Bastille.
Diplômée du conservatoire de Moscou en 2013 seulement, Elena Stikhina fait aujourd’hui partie des solistes de la troupe du Mariinsky. La fraîcheur et la beauté du timbre laissaient penser d’emblée qu’Elena avait la voix de Tatiana. Toute la fragilité et la sensibilité de la jeune fille ressortirent avec grâce et émotion au cours de l’air de la lettre. Toute la détermination et la maîtrise de la femme, de la princesse, pourtant déchirée, étaient exprimées avec une infinie justesse dans le duo final, arrachant au passage des larmes à la moitié de l’assemblée. Ce qui fut confirmé par l’ovation prolongée qui accueillit la jeune soprano aux saluts. Une chose est certaine : une nouvelle étoile est apparue hier soir, et on meurt d’envie de l’entendre à nouveau. Notons à cet égard qu’elle chantera après Sondra Radvanovsky et aux côtés de Roberto Alagna Leonora dans Il Trovatore de Verdi à l’Opéra de Paris en juillet 2018.