Ce soir du 19 décembre, l’atmosphère était toute particulière à l’Opéra-Comique, pour la représentation des Fêtes d’Hébé de Rameau, dirigée par William Christie dans l’amusante mise en scène de Robert Carsen. Pas de surprise toutefois, tous les spectateurs avaient été prévenus par e-mail : « Veuillez noter la soirée anniversaire des 80 ans de William Christie ce soir. Dress code : tenue de fête ». Sans être tous sur leur trente-et-un, les spectateurs ont visiblement suivi le message et fait un effort vestimentaire.
Il faut dire que l’Opéra-Comique a bien fait les choses : à l’entracte le Champagne coule à flot à tous les étages, accompagné de petites grignoteries, ce qui contribue à augmenter dans la salle l’euphorie née du spectacle. Mais c’est à la fin que les surprises se multiplient. Après les saluts, auxquels participe bien sûr William Christie acclamé pendant un long moment, entre en scène le directeur Louis Langrée, qui prononce un petit discours amical rappelant notamment les liens qui unissent la salle Favart avec Les Arts Florissants et leur chef depuis 1987, année de la mémorable recréation d’Atys de Lully. Puis arrive un monumental gâteau d’anniversaire marqué « 80 ». Enfin entrent en scène deux personnages habillés en paysans – mais non, ils ne vont pas interpréter le « duo des dindons » de la Mascotte –, car celui qui porte un chapeau est en fait Erik Orsenna, venu décorer William Christie du grade de chevalier dans l’ordre du… Mérite agricole.
C’est bien sûr au titre des merveilleux jardins de Thiré, en Vendée, que William Christie reçoit cette distinction. Créés en 1985 et figurant au centre du projet des Arts Florissants, ils n’ont cessé de s’étendre et de se diversifier, jusqu’à devenir « Jardin remarquable » (2004) et être inscrits à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques (2006). Ce lieu exceptionnel de 12 hectares est depuis 2012 ouvert au public et animé d’un festival de musique, mais en même temps il constitue un conservatoire botanique, puisqu’il tend aussi à mettre en valeur les beautés du paysage vendéen, en rassemblent de nombreux arbres et végétaux propres à cette région. Comme William Christie le confiait au Sunday Times, « C’est un jardin d’artiste. Fantaisiste, truffé de licences poétiques ; il représente tous les rêves que j’ai pu faire depuis que j’ai 12 ans. (…) Lorsque je pense à ce jardin, je pense à la musique que j’aime. »
Erik Orsenna, qui s’honore lui-même de n’avoir qu’une décoration mais qui pour lui compte beaucoup (il est commandeur de l’ordre du Mérite agricole), épingle donc le « poireau » à la veste de William Christie. La décoration du Mérite agricole, créée le 7 juillet 1883, est l’une des quatre décorations ministérielles maintenues après la création de l’Ordre national du Mérite en 1963. Elle se compose d’une médaille blanche émaillée, suspendue à un ruban vert, qui lui valent ce sobriquet de poireau donné par l’opposition parlementaire du temps de sa création, et bien évidemment vite repris par les journalistes et finalement par le grand public. C’est ce qui explique les deux poireaux frais (légumes) portés par Erik Orsenna pour cette remise. On compte parmi les récipiendaires du passé de célèbres chercheurs comme Louis Pasteur, et quelques artistes comme Jean Rochefort et Isabelle Mergault.
Une soirée bien sympathique et festive comme on les aime, qui rappelle que c’est toujours bien de ne pas attendre trop tard pour honorer ceux qui le méritent vraiment. Merci Monsieur Christie, pour tout le bonheur que vous continuez de dispenser si généreusement, dans de nombreux domaines, à vos contemporains.