Alberto Veronesi a dirigé La Bohème les yeux bandés afin de protester contre la transposition de l’action en mai 1968 – et notamment le poing levé de Rodolfo à la fin de l’opéra. D’après le chef d’orchestre, également président du Comité de promotion des célébrations autour du centième anniversaire de la mort de Puccini en 2024, l’approche scénique de Christophe Gayral serait un acte de trahison à l’encontre du compositeur toscan. S’être bandé les yeux lui aurait permis d’oublier la mise en scène pour mieux se concentrer sur la musique. Enfin un geste de résistance contre le diktat des metteurs en scène à l’opéra ?
Dans un communiqué, Christophe Gayral prétend pourtant 1) « que la mise en scène, fondée sur un travail approfondie de dramaturgie, s’est toujours basée sur l’œuvre de Puccini respectant à la lettre tous les sens de l’œuvre, sans aucune coupure ou ré – écriture des paroles du livret ou détournement de l’intrigue » 2) que son travail veut « lire et éclairer l’œuvre de manière moderne dans un cadre contemporain, comme de très nombreux metteurs en scène le font de nos jours », d’où la transposition de l’action de décembre 1967 à mai 1968, « époque pleine d’artistes et de bohémiens en quête de nouveaux idéaux comme on en trouve dans l’œuvre de Puccini et dans le roman de Murger », 3) que son intention « n’a jamais été de faire référence à un quelconque cadre politique en place aujourd’hui en Italie » 4) que le projet « bien des mois avant le début des répétitions, a été présenté et expliqué très clairement à la Fondation Puccini qui l’a totalement approuvé dans son ensemble (dramaturgie, décors, costumes, etc,…) » 5) que le Maestro Veronesi lui aussi à cette époque l’avait approuvé.
Alors ? Il semblerait que les motivations de ce dernier soient plus politiques qu’artistiques. Veronesi qui figurait sur la liste électorale de Giorgia Meloni lors des dernières élections régionales aurait été instrumentalisé par Vittorio Sgarbi, le Secrétaire d’État italien à la Culture (ou selon les versions, aurait lui-même alerté Sgarbi pour qu’il demande l’annulation du spectacle). L’intrusion du militantisme communiste dans La Bohème sans rapport avec l’opéra de Puccini leur apparaîtrait comme un acte de propagande inacceptable.
Depuis, Veronesi a été limogé par la direction du Festival. Le député Alessandro Amorese et le conseiller régional Vittorio Fantozzi, l’un et l’autre membre de Fratelli d’Italia, ont exprimé « toute leur solidarité » au maestro tandis que le maire de Viareggio, commune dont dépend Torre del Lago, essayait de dédramatiser la situation par un trait d’humour : en se bandant les yeux, le chef d’orchestre aurait voulu démontrer qu’il connaissait la partition par cœur. Démonstration qui agite les médias italiens depuis plusieurs jours.
