Heureuse coïncidence, deux de nos plus grands ténors vont déposer le même jour leur offrande sur l’autel de Giuseppe Verdi à l’occasion du bicentenaire de sa naissance. C’est en effet lundi prochain, 12 novembre, que sortent les nouveaux albums de Rolando Villazon et de Roberto Alagna. La comparaison s’arrête là. Si Verdi est dans un cas comme dans l’autre le prétexte de ces enregistrements, le chanteur mexicain propose un programme inédit quand le français, par l’intermédiaire de son ancienne maison de disques, Sony Classical, recycle des extraits d’une Traviata de 1992 et d’un Rigoletto de 1994, dirigés à chaque fois par Riccardo Muti.
On retrouve donc notre ténor public numéro un en ses jeunes années, un peu comme on découvre sur Copains d’avant la photo d’un vieux camarade dont avait oublié le visage des quinze ans. Le portrait d’Alfredo surtout est saisissant, idéal de charme, impulsif, passionné, immédiat, évident. Si, Muti oblige, aucune note alternative n’est autorisée, l’aigu, et plus largement la voix, rayonnent et l’expression frappe par sa justesse, un rien roturière comme souvent chez Alagna, mais toujours congruente à la situation. L’état vocal de Tiziana Fabbricini ne laisse pas de doute sur la maladie qui ravage sa Violetta et Muti, intraitable, conduit le drame vers son issue fatale.
On passe sans transition des derniers hoquets de Traviata au balancement goguenard de « Questa o quella » dans Rigoletto, interprété les mains dans les poches par Roberto Alagna plus gaillard que de raison. Ce Duc de Mantoue ne connaît pas les bonnes manières ainsi qu’en témoigne un « Possente Amor Mi Chiama » brouillon et une « Donna e mobile » impudique. S’il faut retenir un passage, on arrêtera davantage son choix sur le duo d’amour avec sa cadence souvent coupée que Muti, fidèle à ses principes, a tenu à rétablir. Le ténor y déploie un sex-appeal auquel rien ne saurait résister, pas même la plus frigide des Gilda, fût-elle Andrea Rost. En Rigoletto, Renato Bruson, que l’on entend le temps du quatuor (quand le titre de l’album ne nous promettait que des airs et des duos), a pas mal roulé sa bosse. Bizarrement, c’est lui qui ferme le bal, le bref récitatif à la suite de l’ensemble ayant été conservé. Une conclusion mal à propos qui, ajoutée à d’autres coupures aussi soudaines qu’inopportunes et à un livret d’accompagnement sommaire, donne une impression de compilation réalisée à la hâte, comme si on avait voulu à toute vitesse prendre en marche le train du bicentenaire verdien. A réserver donc en priorité aux mélomanes pressés. [Christophe Rizoud]
Verdi, airs et duos (La Traviata ; Rigoletto). Roberto Alagna, ténor ; Orchestre et choeur du Théâtre de La Scala ; Riccardo Muti, direction. 1 CD Sony Classical. Sortie commerciale lundi 12 novembre 2012