Déluge de feu, chant incantatoire, orage d’acier, supplique, déflagrations : Regarde ici-bas de Zad Moultaka, donné jeudi à la Maison de la Culture de Clermont-Ferrand par la Scène Nationale est tout à la fois une passion, un oratorio, un cri de révolte et un chant d’espoir ; et surtout une œuvre atypique où le scandale de la guerre et de la violence se confond avec la ferveur et répond à la spiritualité de Bach. Elle s’ouvre sur ce NON, pièce introductive qui lacère et sature l’espace comme un cri. Cri des percussions solo de Claudio Bettinelli, ange alluciné, qui affronte le chœur obsédant et mortifère d’une pluie d’obus dans la nuit beyrouthine. Lui succède comme en miroir, des extraits de la Cantate BWV29 « Wir danken dir, Gott » par le Spirito-Chœur Britten et l’Ensemble Unisoni dirigés par Nicole Corti. On retrouve cette disposition de complémentarité antagonique dans la pièce suivante I had a dream où, entre la fameuse harangue de Martin Luther King pour chœur mixte, vient s’interposer l’implacable injonction de la grosse caisse. Dans cette fresque inquiétante et déroutante, le compositeur libanais semble en appeler à nouveau à la médiation transcendante du Kantor de Leipzig avec le « Suscepit Israel », l’« Et exultavit » du Magnificat et le « Wir Eilen » de la Cantate 78.
La pièce éponyme Regarde ici-bas, en création mondiale pour seize voix mixtes a cappella, apparaît comme une supplique plus qu’explicite que vient confirmer le rayonnant Motet BWV 230 conclusif. Mixer les genres, marier les antinomies, réconcilier les esthétiques par-delà les époques et les continents, inscrire les maîtres anciens dans la continuité du présent revient souvent à forcer la main au destin. Alors Regarde ici-bas fait figure d’exception. Son articulation autant que son écriture, si singulières, l’exonère de tout prosaïsme militant. Moultaka ne cherche pas à faire du Bach et moins encore à le pousser dans l’ornière d’une hypothétique modernité. Il conduit l’écoute en terre inconnue. En provocant la réflexion, son œuvre s’affirme comme une salutaire perte de repères. Il met en scène une nécessaire frontalité vocale où la cruauté se fait beauté. La puissance spirituelle d’un Bach prend alors la force d’un violent réquisitoire à l’encontre d’une humanité sombrant dans la déraison.