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Bryn Terfel : la force tranquille

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Interview
11 août 2009

Infos sur l’œuvre

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Rendez-vous est donné dans un hôtel chic de Verbier. La veille, Bryn Terfel triomphait dans ce qui devait être sa dernière incarnation de Don Giovanni. A notre arrivée, il se prépare pour le concert qu’il doit donner dans quelques heures avec Lang Lang, René Pape et Thomas Quasthoff mais accepte de nous accorder un entretien en toute décontraction. L’interview sera interrompue quelques minutes par la visite surprise de son amie Susan Graham. Lorsqu’elle s’excuse d’avoir pris sur notre temps, Terfel rétorque : « It doesn’t matter. We are in Verbier ! » Pas de doute, malgré un agenda chargé, le grand baryton-basse est aujourd’hui un homme serein qui se délecte des grands rôles qu’il chante sur les plus grandes scènes lyriques du monde. Hors micro, il évoque le plaisir qu’il a éprouvé lors de la représentation de la veille, notamment dans les trios avec René Pape et « Tommy » (Quasthoff). « Et les femmes ! » lance-t-il avec un regard émerveillé. Rencontre avec une bête de scène gentleman.

 

 

Vous avez chanté le rôle de Don Giovanni un grand nombre de fois. Comment définiriez-vous ce personnage en tant qu’homme ?

 

De mon point de vue, je dirais qu’il est très charismatique, qu’il peut être un gentleman, doux, gentil et persuasif. Avec Elvira il est tout à fait différent, manipulateur. Je crois qu’avec Donna Anna, il met en avant ses qualités de gentleman et je pense qu’il n’aime pas Don Ottavio. Il a une telle libido ! C’est un rôle agité dont les arias sont « pliées » en deux minutes – l’air du champagne, Meta di voi qua vadano, etc. J’ai de grands modèles pour ce rôle de Thomas Allen à Ruggiero Raimondi. J’ai appris beaucoup de leur manière de chanter le texte, de leur parlando. Avec Don Giovanni, j’ai beaucoup travaillé sur la diction, sur la restitution du texte. C’est très enrichissant.

 

Vous avez chanté trois rôles dans cet opéra : Masetto, Leporello et Don Giovanni. Le fait d’avoir différents points de vue sur le personnage a-t-il changé votre conception du rôle ?

 

Non car j’ai toujours chanté Don Giovanni à ma manière, sans trop de sophistication. Par contre j’aimerais maintenant me consacrer exclusivement à Leporello. 

 

Il se murmure en effet que vous ne chanterez plus Don Giovanni. Pourquoi ?

 

Je ne l’incarnerai plus sur scène mais je ferai peut-être encore quelques versions de concert. Peut-être… Je l’ai joué pour la dernière fois à Vienne dans une mise en scène où Don Giovanni avait dix costumes ! Quand Simon Keenlyside porte dix costumes différents, cela fait grande impression, mais sur moi, avec ma taille et ma silhouette, autant de changements ne rendent pas forcément bien. Je voudrais avoir l’aura de Raimondi. Aujourd’hui je préfère donc me concentrer sur Leporello, qui ne pose pas ce genre de problème.  

 

Pour la représentation d’hier soir, vous avez travaillé avec Marthe Keller. Est-ce différent d’être dirigé par une actrice ?

 

Elle connaît la pièce tellement bien ! Elle aime la spontanéité. La simplicité de cette version permet de se concentrer sur la musique. C’était tellement…. (il réfléchit) puissant.

 

Quel est le secret pour chanter Mozart ?

 

Bonne question…(il réfléchit longtemps) Je pense que la musique de ce compositeur est faite pour les jeunes chanteurs. Vous devez chanter Mozart au début de votre carrière quand vous vous sentez encore frais et enthousiaste et que vos qualités vocales doivent encore se développer. Ce n’est plus très facile pour moi aujourd’hui de chanter ces oeuvres que ce ne l’était avant. Maintenant, je dois tout donner. Je dis toujours qu’avec Mozart vous avez une vie sociale alors qu’avec Wagner, vous rentrez chez vous et vous fermez la porte. Les opéras de Mozart doivent résulter d’une véritable collaboration pour véritablement fonctionner. Pas seulement entre chanteurs mais également avec l’orchestre, le chef, le metteur en scène, la maison d’opéra et l’acoustique.    

 

Vous avez débuté le chante dès votre plus jeune âge avec les chansons populaires de votre Galles natale. Vous chantez – et enregistrez – encore ces chants aujourd’hui. Qu’est-ce qui vous plaît tant dans cette musique ?

 

Il y a deux raisons pour lesquelles je chante toujours ces chansons. Tout d’abord, il y a le côté commercial ; les maisons de disques veulent enregistrer des choses différentes. Les gens aiment les chansons populaires et les ventes sont meilleures. Ensuite, j’aime beaucoup chanter ce répertoire en concert. Comme vous l’avez dit, je viens du Pays de Galles et là-bas, tout le monde commence par chanter cette musique, ça fait partie de la vie.

 

Comment avez-vous découvert la musique « classique » qui ne faisait pas partie de l’univers dans lequel vous baigniez dans votre jeunesse?

 

Je l’ai découverte assez tard, quand j’avais 18 ou 19 ans lorsque j’ai commencé mes études à la Guildhall School of Music and Drama de Londres. J’ai commencé avec Schubert, Schumann, Pfiztner, Brahms. J’ai eu deux professeurs là-bas qui m’ont donné le goût du répertoire tout en exigeant que je mémorise 3 ou 4 mélodies par semaine, ce qui m’a également appris à étudier très rapidement. Mais en arrivant à Londres, je n’avais aucune idée de ce qu’était une carrière, de la manière dont elle pouvait de dérouler ou même commencer. 

 

 

Justement, comment gère-t-on une carrière internationale comme la votre ?

 

Je me suis beaucoup inspiré de chanteurs ayant le même type de voix que moi. J’ai beaucoup appris de José van Dam ou Samuel Ramey, de la manière dont ils ont construit leurs carrières. J’ai étudié beaucoup de choses au cours de ma formation et j’ai bien sûr commencé par les petits rôles avant d’aborder les grands. Aujourd’hui le temps est venu pour moi de m’amuser et de profiter de ces héros fantastiques. 

 

Etes-vous intéressé par l’enseignement ?

 

Non. Absolument pas. Je pense qu’il y a des gens meilleurs que moi pour faire cela. Certaines personnes me disent que dans quelques années je changerai peut-être d’avis mais quand j’ai l’occasion de chanter avec de jeunes chanteurs qui me demandent des conseils, je réponds toujours qu’ils sont les meilleurs juges pour savoir ce qu’ils ont à faire. J’ai appris beaucoup de choses par moi-même, en corrigeant mes propres erreurs. Je crois en l’expérience.

 

Vous avez chanté sous la direction des plus grands chefs d’orchestre : Solti, Sinopoli, Abbado, Levine, etc. Lequel d’entre eux vous a impressionné le plus ?

 

Vous l’avez nommé : Solti ! J’en avais véritablement peur et donc je travaillais vraiment dur avant d’aller chez lui pour les répétitions (sourire). C’était un véritable maestro et je l’admirais pour sa connaissance de la musique. Il savait exactement de quoi il parlais. Il était très à cheval sur le tempo et vous martelait l’épaule en comptant : un, deux, trois ; un deux, trois… Et puis, il pouvait lancer une carrière. Dès lors que vous chantiez avec lui, on vous remarquait. Regardez, moi ! (rires)     

 

Quelle est la première qualité que vous attendez de la part d’un chef ?

 

J’aime avant tout qu’il soit amical et sympathique. J’aime qu’il soit bienveillant envers moi. Ensuite, en tant qu’interprète, je veux apprendre. Le chef doit me transmettre sa connaisance et ses conviction. Lorsque j’ai fait Le mariage de Figaro à La Scala avec Riccardo Muti, j’ai appris plus de choses en 40 minutes qu’au cours des 10 dernières années de ma carrière. Il m’a donné des conseils de phrasé, de respiration,… c’était passionnant. J’espère vraiment rechanter avec lui.

 

Depuis quelques années, l’opéra est tombé sous la coupe des metteurs en scène. Les productions deviennent parfois plus visuelles que musicales. Comment voyez-vous cela ?

 

Je suis tout à fait d’accord avec vous mais bien que je sois un traditionaliste qui aime donner du plaisir au public par le chant, je pense que le divertissement à l’opéra est très important. Il y a aujourd’hui de grands metteurs en scène très imaginatifs qui ont un effet bénéfique sur notre art. Notez que même le cinéma peut être très opératique !

 

Dès lors, l’opéra marche-t-il à l’écran, sous forme de film ? Il y a eu quelques tentatives plus ou moins réussies…

 

Disons que cela peut-être intéressant…

 

Lorsque vous êtes sur scène, vous mettez-vous réellement dans la peau du personnage ou vous contentez-vous d’en dresser un simple portrait ?

 

(Il réfléchit longuement) La frontière entre les deux est extrêmement mince. Je viens juste de faire Tosca à Covent Garden, et je me sentais mal à l’aise avec le rôle de Scarpia. Je jouais trop le personnage. Je chantais avec agressivité et je le devenais moi-même ! J’ai donc fais un « pas en arrière », je me suis corrigé pour être moins belliqueux vocalement. Je pense que mon interprétation n’en était que meilleure.

 

Vous êtes un merveilleux straussien en Jochanaan (Salomé) mais vous ne chantez pas Mandryka d’Arabella ni Barak de Die Frau ohne Schatten. Ces rôles seraient pourtant idéaux pour votre voix…

 

Effectivement. J’ai étudié le rôle de Barak. Il est très difficile vocalement. En ce qui concerne Mandryka, j’étais supposé l’enregistrer avec Sinopoli. Trois fois ! Mais cela a toujours été reporté et puis Sinopoli est mort en dirigeant Aïda.

 

Et Wozzeck ?

 

Non !

 

Pourtant, je pense que beaucoup de gens vous attendent dans ce rôle ! moi le premier…

 

Vous devrez attendre longtemps ! (rires)

 

Vous n’aimez pas cette musique ?

 

Non. Pas pour le moment. J’ai commencé à l’étudier il y a quelques années mais j’ai finalement renoncé. Une sorte de rejet sans doute… De toute façon, dans les 5 ans à venir, mon agenda ne me le permet pas.  

 

Si d’un coup de baguette magique je pouvais vous transformer en ténor jusqu’aux douze coups de minuit, quel rôle chanteriez-vous ce soir ?

 

(Rires) J’aimerais chanter comme Franco Corelli, être aussi « nerveux » que lui – je crois que c’est ce qui a fait de lui le chanteur qu’il était. Je crois que je chanterais « Vittoria ! Vittoria » du deuxième acte de Tosca. Mais j’ai du mal à choisir entre André Chénier et Tosca.  

 

 

Propos recueillis à Verbier, le 21 juillet 2009 par Nicolas Derny

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