Ildar Abdrazakov était récemment sous le feu des projecteurs grâce à son interprétation du Prince Igor au Met de New York, où on l’avait aussi applaudi en Dossifeï de La Khovanchtchina, mais on aurait tort de croire de voir en lui un de ces chanteurs de l’Est auquel on ne fait appel que pour le répertoire slave. C’est dans Don Giovanni qu’il a fait ses débuts au Met en 2004, où il est ensuite revenu pour Attila et Anna Bolena. Il a incarné le Moïse rossinien à Milan, à Salzbourg et à Rome (il le sera à Marseille en novembre prochain). A l’Opéra de Paris, on ne l’a guère vu qu’en comte Walter dans Luisa Miller en 2008, mais on l’entendra en concert au TCE avec Ramon Vargas en juin, et il sera Méphistophélès dans la reprise de Faust à Bastille en mars 2015. Il compte aussi à son répertoire le diable de Berlioz, et le jour où il se décidera à en ajouter un troisième, le Mefistofele de Boito retrouvera sans doute un titulaire de premier plan. Bref, il suffit de consulter son agenda pour s’apercevoir qu’Ildar Abdrazakov ne chante pratiquement jamais l’opéra russe… C’est pourtant cette musique-là qu’il a choisi de défendre dans son premier récital au disque (il a déjà enregistré chez Chandos un programme Chostakovitch dont il était pratiquement le héros). Choix raisonnable, et plus apte à retenir l’attention d’oreilles occidentales peu familières de cette musique. Et à un natif de Bachkirie qui se prétend descendant de Gengis Khan, il ne messied pas d’avoir des ambitions conquérantes.
Avec ce parcours sur un peu plus de cents ans d’opéra russe (on remarque l’inclusion de l’air de Koutouzov dans Guerre et paix, qui permet de dépasser les limites du XIXe siècle), Ildar Abdrazakov démontre d’abord sa versatilité, alternant basses bouffes et basses nobles, Varlaam et Boris, le meilleur exemple étant le contraste entre les plages 2 et 3 où il enchaîne les deux rôles de basse de Rousslan et Ludmilla, le fanfaron Farlaf et le héros Rousslan. Quelques airs rapides se glissent au milieu des airs plus mesurés, selon un principe désormais assez bien établi pour les récitals au disque. La voix est parfaitement saine, les graves sont bien là, mais un peu moins abyssaux que chez d’autres, et on sent l’interprète s’épanouir davantage dans l’aigu. La jeunesse du timbre permet d’éviter les barbons déplacés, comme dans le cas des sexagénaires interprétant des personnages censément juvéniles. Les monologues méditatifs conviennent bien à Ildar Abdrazakov, qui se montre néanmoins capable d’enthousiasme quand nécessaire. La verve qu’appellent les figures comiques est ici cantonnée dans les limites du très raisonnable ; si l’on a connu des Farlaf plus débridés, cela tient sans doute à la froideur du studio, mais aussi peut-être aux choix du chef. Constantine Orbelian ne précipite jamais les choses, à tel point que la scène du couronnement de Boris semble manquer singulièrement d’euphorie, avec un jeu de cloches très sage et un chœur à la liesse un peu trop contenue. L’orchestre lituanien est chez lui dans ce répertoire (mais l’on annonce, à paraître en septembre prochain sa participation à un enregistrement de Simon Boccanegra avec Dmitri Hvorostovsky, Barbara Frittoli et Stefano Secco).
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