« A quoi bon ? » se dit-on en découvrant le programme de ce nouveau récital au disque de Joseph Calleja. Rodolfo, Cavaradossi, Faust, des Grieux, Hoffmann, tous les cadors du grand répertoire italien et français dans leurs atours les plus connus : « Che gelida manina », « Salut demeure chaste et pure », etc. Rien qui ne sorte de l’ordinaire du ténor dans l’éclat de sa maturité. Villazon au moins osait des Gounod et des Massenet jamais entendus. Alagna glissait Marouf et Polyeucte dans son premier témoignage discographique et même Alvarez, davantage autorisé par un timbre miraculeux à ne pas sortir des sentiers battus, se fendait d’un extrait de Rosenkavalier dans The tenors passion. Joseph Calleja a-t-il les moyens, à l’exemple de son confrère argentin, de labourer au disque des terres cultivées plus que de raison ?
La voix se caractérise par ce vibratello qui la rend immédiatement identifiable mais auquel certains reprochent de donner à ses enregistrements une patine de vieille cire. Que l’on aime ou pas, il s’agit d’un atout indéniable pour se faire (re)connaître. Depuis son dernier enregistrement, le ténor, dont les origines maltaises semblent devenues une autre marque de fabrique, a pris de l’envergure. A la manière d’un vin de Bordeaux qui se développe en vieillissant, le chant s’est élargi, le timbre ensoleillé, la silhouette fortifiée, au point d’évoquer dans son rayonnement rien moins que Luciano Pavarotti. La ressemblance serait-elle purement fortuite ? Sur une photo en page d’accueil de son site Web (www.josephcalleja.com), Joseph Calleja pris sur le vif lors d’une représentation de La Bohème rappelle étrangement le Tenorissimo dans son jeune âge, à l’époque ou il était glabre. C’est d’ailleurs les airs extraits de La Bohème qui évoquent le mieux Pavarotti : une ardeur juvénile combinée à une bonhomie rassurante, à l’image de ces jeunes dieux qui traversent les stades inconscients de leur force et de leur beauté. A propos de La Bohème toujours, on aime dans « O soave fanciulla » cet Ut a rebours de la convention, non hissé a l’octave mais pris a sa hauteur naturelle, qui contraste virilement avec la note que Mimi – Aleksandra Kurzak en figurante de luxe – projette au dessus de la portée. L’une des seules originalités d’un enregistrement qui se contente la plupart du temps d’enfoncer des portes ouvertes et dont, à tout prendre, on retient le versant italien plutôt que français. Difficile en effet de laisser passer dans notre langue ces « e » muets soudainement accentués, ce redoutable verbe « fuir » que Joseph Calleja parvient à négocier tant bien que mal dans l’air de Manon (on a droit à un « fuya » plus supportable que le « fouiyer » dont on est habituellement victime) mais qui le prend par surprise dans l’air d’Hoffmann (« et m’enfouis à travers les vallons ») et le duo des Pêcheurs de perles (« pouvais fouir les beaux yeux »). Aleksandra Kurzak y revient donner la réplique dans un français aussi exotique. La cavatine de Faust (« salut demeure chaste et pure ») est peut-être ce que l’on trouve de plus châtié, à condition de rayer de sa mémoire les Gedda, Vanzo ou Alagna qui s’y sont auparavant illustrés avec une autre maestria.
Le répertoire transalpin appelle plus d’indulgence. L’expression n’est pas le fort de Joseph Calleja. Quel que soit le sentiment en jeu, notre maltais traverse imperturbable ces airs chargés de passion. Mais après tout, il n’y a pas aujourd’hui tant de ténors capables d’interpréter ces pages redoutables – car exigeantes et rebattues – sans donner l’impression d’effort, sans notes tirées, sans coups de glotte ou abus d’effet en guise de cache misère. Combien peuvent ainsi laisser déverser le flot d’un chant généreux qui semble couler de source ? A condition là encore de ne pas regarder en arrière, car, sans convoquer de nouveau Pavarotti, on possède déjà, pour chacun de des numéros présentés ici, au moins une référence préférable : Bergonzi dans Verdi, Corelli dans Puccini, etc. Alors effectivement, à quoi bon ?
Droit de réponse de Jean Cabourg
Cher ami,
En renvoyant votre lecteur à Pavarotti, Corelli ou Bergonzi vous passez sous silence les défauts et limites de ces géants, lors même que vous pointez ceux de Calleja, disqualifié à l’aune de leur talent. Je prétends quant à moi :
- qu’aucun de ces trois ne pouvait alterner les airs français et italiens avec une telle aisance vocale ;
- que leur français était encore plus fautif ;
- que celui même de Kraus prêtait davantage à sourire ;
- que les airs de Tosca n’ont pas à pâlir devant ceux de (mon idole) Corelli, à qui notre maltais emprunte le smorzando d’« E lucevan e stelle » sans une certaine vulgarité afférente ;
- que le Faust d’Alagna est tout sauf une référence, alors que notre nouveau venu file son Ut comme personne, sinon le jeune et exotique Di Stefano ou notre cher Albert Lance avec Wolff ;
- qu’au demeurant ces gens là sont morts et qu’en traitant avec condescendance un Calleja, on dissuade un public gavé de Villazon et autres Alvarez d’aller entendre l’un des deux ou trois ténors vivants de répertoire italo-français digne d’intérêt.
Or, pour ne considérer que les airs italiens, je répète qu’il est donné ici de les entendre débarrassés des sanglots de Corelli, des aigus plafonnés de Bergonzi et gratifiés de mezza voce et diminuendi à faire rêver Pavarotti. Alors est-on assuré de trouver mieux ailleurs ? Autre chose oui, Calleja offrant pour sa part un timbre original, une musicalité sans faille, un belcantisme qui pour tout dire prend sa source bien en amont des années 60-70, assorti de nuances inouïes. L’hypothèse contraire nous condamne à ne plus écouter aucun disque récent de grand répertoire au prétexte qu’on a déjà fait mieux.Quitte à souligner chaque fois que nous revenons vers un de nos référents, ce qui nous chagrine dans leur interprétation.
Que le programme d’un ténor de 33 ans puise dans le grand répertoire n’est pas en soi un péché. Le premier récital de Pavarotti en 64 se limitait à Bohème, Tosca et Rigoletto. Le premier de Calleja, enregistré au même âge, se tournait vers des Donizetti rares qu’aucun de vos (de nos) 3 ténors n’avaient abordé ,en plus de « Si j’étais roi » d’Adam. Le disque est aujourd’hui la carte de visite d’un chanteur. Snober celui de Calleja revient à couper les ailes de sa carrière , au nom de modèles donnés comme intangibles ou au prétexte que son français doit s’amender.. comme celui de Joyce di Donato, de Florez ou……. d’une Veronique Gens dont on loue la diction, à mes oreilles emphatique et incompréhensible !