La soprano lettonne Marina Rebeka semble être à l’aube d’une belle carrière internationale, et l’on comprend qu’ait pour elle sonné l’heure du premier récital au disque, après sa récente participation à l’enregistrement de la Petite Messe solennelle de Rossini sous la direction d’Antonio Pappano. Régulièrement invitée à Pesaro, à Salzbourg ou à Baden-Baden, elle a déjà été Donna Anna à New York et Violetta un peu partout. Son répertoire se partage assez équitablement entre Mozart, Rossini et Verdi, avec de plus rares incursions dans l’opéra français (Antonia des Contes d’Hoffmann, Leïla des Pêcheurs de perles, Micaëla ou Juliette). Vers lequel de ces domaines allait-elle se tourner ? Un disque Verdi de plus après l’année du bicentenaire n’aurait sans doute pas été une bonne idée (et La Traviata ne suffit peut-être pas à faire une verdienne, comme le suggérait son concert à Pesaro l’été dernier) ; Rossini aurait pu être une idée, mais Mozart a dû apparaître comme un choix prudent et attractif à la fois. Va donc pour un récital mozartien, dans lequel Marina Rebeka semble vouloir nous montrer qu’elle peut faire le grand écart entre les personnages les plus différents, être à la fois Anna et Elvira, ou Pamina et sa mère. Malgré tout, elle n’est « que » la Comtesse dans Les Noces, « que » Elettra dans Idoménée, « que » Constance dans L’Enlèvement au sérail. Cela fait quand même pas mal, même si la durée totale du disque atteint à peine une heure.
La tâche la plus délicate est alors de déterminer dans quel type de personnage cette voix-là s’épanouit le mieux. La Reine de la Nuit n’est pas forcément ce dans quoi on l’attend le plus, mais quand on est capable de vocaliser avec l’assurance dont témoigne le « Martern aller Arten », ses deux airs étaient peut-être des passages obligés. La véhémence lui convient assez, sans quoi elle aurait enregistré Ilia plutôt qu’Elettra dans Idoménée. Pourtant, c’est lorsque les difficultés techniques sont moindres, lorsque la musique sollicite davantage les émotions de l’interprète, que Marina Rebeka semble avoir vraiment des choses à nous dire. De ce point de vue, et même si le rôle qu’elle privilégie en scène est celui d’Anna, son Elvira nous touche davantage. Il manque aux autres héroïnes une humanité que la chanteuse ne parvient pas à leur conférer par-delà leur violence. Le timbre est limpide mais ferme, la virtuosité n’est jamais un obstacle, mais on ne trouve pas ici le frémissement qu’on voudrait entendre. D’ailleurs, et c’est peut-être significatif, Così est (avec La Clémence de Titus) le grand absent de cet enregistrement focalisé sur les opéras de la maturité mozartienne : que serait une Fiordiligi froide, sans cette vie intérieure qu’on cherche en vain dans plusieurs plages de ce disque ? Marina Rebeka doit aborder le rôle ce mois-ci à Zurich, et il faut espérer que le travail avec un metteur en scène comme Sven-Erich Bechtolf l’aidera à aller plus loin dans l’incarnation, dans cette théâtralité qu’il est toujours bien difficile de retrouver dans la froideur des studios d’enregistrement. Avec ses tempos très (trop ?) mesurés, probablement appris au contact de Riccardo Muti dont elle a été l’assistante, la Romaine Speranza Scappucci, jusqu’ici surtout pianiste, chef de chant, ne l’a peut-être pas assez soutenue dans cette quête : le Liverpool Philharmonic, très propre, ne paraît pas très concerné par ce qu’il joue. Attendons donc de voir Marina Rebeka en scène, sinon en chair et en os – aucun passage par la France n’est prévu dans un avenir proche – du moins à l’écran, puisque sa Mathilde de Pesaro sera certainement immortalisée par un DVD.