De son riche fonds, Alpha classics vient de rééditer quelques pépites, dont ce généreux enregistrement de cantates de la jeunesse de Bach, écrites à Mühlhausen et à Weimar. Lionel Meunier, avec son ensemble Vox luminis, familiers de ce répertoire, nous vaut une approche intime, recueillie, fervente, rayonnante de ces quatre cantates. Il fait le choix de solistes, dont l’association constitue le « coro », ce qui se traduit déjà par une lisibilité constante de la trame polyphonique et de l’intelligibilité du texte, ici essentiel. Son ensemble instrumental, constitué, lui aussi, de solistes rompus au travail collectif, est également exemplaire.
Associée à la cantate 106 sur une copie de 1768, l’appellation Actus tragicus , qui donne son titre au disque, n’est certainement pas du Cantor, ce qui importe peu. Dans le droit fil de la tradition luthérienne, vierge de toute influence italienne, elle associe deux flûtes à bec, deux violes de gambe et le continuo aux quatre solistes, pour faire de la mort un passage serein. Après l’extraordinaire introduction, l’affirmation « Gottes Zeit » prend un caractère résolu. Le numéro le plus animé fait dialoguer les trois voix graves et le soprano lumineux (« Es ist der alte Bund »). A signaler également la sérénité du duetto « In deine Hände » qui se mue en jubilation fervente (« Heute wirst du mit mir im Paradies ») avant la louange finale. Parmi les très nombreuses versions, on a parfois trouvé meilleur soliste, ici ou là, mais rarement une telle communion, lumineuse. Sans toujours atteindre à la plénitude de Pierlot (Ricercar) ou de Junghänel (Erato), ou à la fraîcheur de Rifkin (Decca), une version à retenir.
La cantate BWV 150 « Nach dir, Herr, verlanget mich », paraphrase du psaume 25, fait appel à un effectif réduit (deux violons, un basson et continuo). Les solistes sont doublés pour les quatre chœurs. L’unique et brève aria (« Doch bin ich und bleible ich vergnügt ») permet au soprano de rayonner. Plus rare, le trio suivant (intitulé, lui aussi « aria »), conduit à la chaconne finale (Brahms en reprendra le motif pour le dernier mouvement de sa quatrième symphonie). Aussi célèbre que l’Actus tragicus, la cantate « Aus der Tiefen, rufe ich » lui est souvent associée. Traduction luthérienne du De profundis, sa structure symétrique (comme « Christ lag in Todesbanden », BWV 4), son caractère proche de celui du motet, l’absence de récitatifs aussi, suffisent à en reconnaître l’ancienneté. Pour finir, l’extraordinaire « Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen », contrastée à souhait, dont le premier chœur préfigure le Crucifixus de la Messe en si, avec son motif de chaconne. Les trois arias centrales (pour alto, basse et ténor) permettent aux chanteurs de dialoguer, la première avec le hautbois, la deuxième avec les cordes, la dernière avec la trompette qui chante « Jesu meine Freude ». Aucun ne démérite, chacun servant son texte à l’écoute constante de ses partenaires, instrumentaux ou vocaux. Le travail du talentueux Lionel Meunier, animateur de son ensemble, mais aussi chanteur et flûtiste, emporte la conviction. Son intelligence des oeuvres, sa familiarité à celles-ci, ses talents musicaux lui permettent de se hisser au plus haut niveau. Le programme, d’une rare cohérence, outre ses beautés, convient tout particulièrement à ces temps de confinement.
La brochure d’accompagnement trilingue (français, anglais, allemand), introduite par Gilles Cantagrel, comporte les textes, leurs sources bibliques et leurs traductions.