Comparer l’être aimé à un astre est, en poésie, une métaphore assez banale, mais on peut en tirer mieux que le duo Sacha Distel-Brigitte Bardot interprétant naguère une traduction de « You Are the Sunshine of My Life », comme l’ont montré les musiciens du seicento. « Troppo sotto due stelle » et « Voi partite, mio sole » en sont de bons exemples, qui ont probablement inspiré la pochette du disque Affetti amorosi.
Malgré quelques frémissements ici et là (Mariana Flores avec Leonard Garcia Alarcon en 2010 chez Ricercar, Rinaldo Alessandrini et son Concerto italiano en 2004 chez Alpha), Frescobaldi reste un compositeur plus fréquenté pour sa musique instrumentale que pour ses œuvres vocales. Pourtant, ce contemporain de Monteverdi – ils sont tous deux morts en 1643 et seule une quinzaine d’années les séparait – s’est également illustré en écrivant pour la voix, même s’il n’aborda jamais le genre scénique. L’essentiel de la carrière de Frescobaldi s’étant déroulé à Rome, la musique sacrée occupe une place importante dans sa production, mais le versant profane n’en est pas moins assez riche, comme vient opportunément le rappeler le disque proposé par Damien Guillon à la tête de son Banquet céleste.
On objectera peut-être que l’art de Girolamo Frescobaldi atteint rarement les mêmes sommets d’expressivité que les plus grandes réussites monteverdiennes. Ce n’est peut-être pas faux, mais certaines des arie musicali réunies sur ce disque témoignent d’une belle hauteur d’inspiration dans la traduction des affects.
Comme l’on n’est jamais si bien servi que par soi-même, le maître d’œuvre de l’opération s’est réservé les plages ouvrant et fermant le disque. Le timbre suave de Damien Guillon sait traduire les tourments dépeints par les textes, la lutte entre l’amour et le désir dans « Oscure selve », les affres de Marie-Madeleine au Golgotha ou le renoncement à la vie. Et le contre-ténor maîtrise évidemment les divers éléments de virtuosité exigés par cette musique, indispensables ingrédients de son raffinement. Céline Scheen est fort heureusement à cent lieues de ces voix blanches et inspides qui ont parfois sévi dans la musique ancienne. Les couleurs dont elle sait parer son chant, ainsi que l’attention portée au mot, font merveille dans un monologue comme « Vanne, o carta amorosa » où s’exhale la passion qu’est censée traduire une lettre destinée à l’objet aimé ; un très léger vibrato évite tout risque de froideur, et l’on salue particulièrement l’ardeur de l’interprète dans « Così mi disprezzate ».
Les voix plus graves sont un peu moins gâtées : si le contre-ténor et la soprano disposent chacun de cinq airs en soliste, le ténor et la basse doivent se contenter respectivement de deux interventions et d’une seule, le reste de leur participation consistant en duos et trios, la basse restant la moins sollicitée au total. A Thomas Hobbs on pourra reprocher parfois une pointe d’accent anglo-saxon dans la prononciation de certaines consonnes, mais le ténor britannique charme suffisamment l’oreille par ailleurs pour qu’on lui pardonne volontiers. Quant à Benoît Arnould, on savait de quoi il était capable dans la tragédie lyrique française, pour l’avoir entendu dans des œuvres de Campra ou de Rameau ; pour être le plus souvent discrète, sa présence n’en est pas moins appréciée.
Sous ces quatre voix, les quatre instrumentistes du Banquet céleste déroulent un élégant tapis sonore qui ne contribue pas peu au plaisir exquis que procure ce disque.