Les chercheurs sont familiers des catalogues, généralement thématiques, de l’œuvre des compositeurs. Le plus souvent volumineux, ils sont aussi austères et indigestes que riches. Ils comportent évidemment la bibliographie complète des œuvres musicales recensées, l’indication des sources et leur lieu de conservation, les références des éditions scientifiques où ces œuvres sont publiées. C’est une mine de renseignements sûrs, l’outil indispensable à la documentation comme à l’identification des pièces. Il était attendu que le centenaire se traduise par l’édition d’un catalogue exhaustif de l’œuvre de Pierre Boulez (1). Mais on n’aurait osé imaginer la réalisation qui nous est offerte.
Ouvrage collectif, multiforme, auquel une vingtaine de chercheurs ont apporté leur contribution, c’est un livre composite, d’une incroyable richesse, dont la cohérence est exemplaire.
Organisé chronologiquement, en sept chapitres, correspondant à sa vie créative, le dernier étant consacré aux œuvres laissées inachevées. Chacun d’eux adopte la même structure (récit biographique, repères chronologiques, catalogue sous forme de notices, bibliographies). Les textes se lisent avec bonheur : précis, rédigés dans une langue claire, accessible à chacun. Le portrait est multiple, où se croisent ceux de l’homme, du musicien, du chercheur, du théoricien et polémiste, de l’enseignant et de l’écrivain.
Bien au-delà des réemplois courants, Boulez, plus que tout autre croyons-nous, n’a cessé de retravailler ses œuvres, toujours en évolution, connaissant des développements inattendus. Aussi le principe du classement a-t-il été pensé en fonction de cette caractéristique. 112 entrées sont offertes, permettant de suivre le cheminement de la pensée créatrice du compositeur.
Concernant la voix, par laquelle son œuvre commence, ensuite progressivement délaissée (2), on dénombre une vingtaine d’opus, et leur descendance. On croyait que Le visage nuptial (René Char, 1946) en constituait l’amorce. Neuf numéros, tous inédits, le précèdent, sur des poèmes de Théophile Gautier, Baudelaire, Rilke, Verhaeren, J.-Chr. Benoît et Michaux. Est ainsi reproduite la première page de Recueillement (Baudelaire), de cette belle écriture qu’il conservera jusqu’au terme de sa vie. Comme on aimerait découvrir ces premiers essais !
L’iconographie, riche de 350 documents – souvent inédits – de première importance, permet d’accompagner le compositeur dans sa riche existence.
Le fort volume cartonné (3), cousu, d’une réalisation esthétique rare, coloré jusqu’aux tranches, constitue le plus bel hommage au génial compositeur : il ferait aimer Boulez – au moins donner envie de l’écouter ou de l’approfondir – à ses détracteurs. Un magnifique ouvrage, qui s’adresse au plus large public : musicologues, musiciens et mélomanes, mais aussi amoureux du beau.
(1) Signalons, en outre, la correspondance échangée entre Pierre Boulez et Pierre Souvtchinsky entre 1947 et 1985, qui fait l’objet d’une publication simultanée par les Editions de la Philharmonie. (2) Ce pourrait être un sujet d’étude. (3) 1671 g.