Après avoir assuré en 2010 la recréation d’ll Diluvio Universale, admirable fresque biblique du Calabrais Michelangelo Falvetti (1642-1692), Leonardo García Alarcón triomphait à nouveau l’année dernière à Ambronay en ressuscitant Il Dialogo del Nabucco, autre oratorio de ce compositeur méconnu créé à Messine en 1683 (voir le compte rendu de Fabrice Malkani). En découvrant l’enregistrement qui paraît aujourd’hui, nous partageons sans réserve l’enthousiasme de Fabrice Malkani tant pour l’ouvrage que pour la réalisation, inventive et chatoyante, du chef argentin qui, une fois encore, ne devrait laisser personne indifférent. Ce n’est plus, comme dans l’histoire de Noé, la colère de Dieu, mais celle du roi de Babylone, Nabuccho(donosor) II (ténor), qu’affrontent les protagonistes, trois enfants juifs (sopranos) qui ont osé railler sa mégalomanie en refusant de se prosterner devant une statue érigée à son effigie (« l’image est d’or, le modèle de poussière » clament-ils). Pour prix de leur crime, ils seront précipités dans un brasier, avant d’être sauvés par un ange.
Ponctuée de quelques épisodes plus éclatants (un puissant choeur de Chaldéens, les menaces de Nabucco ou encore une sinfonia martiale), la partition n’est pas traversée par le souffle épique qui anime Il Diluvio Universale. Elle privilégie davantage des climats subtils et déploie des trésors de sensualité (en particulier dans les trios, les quatuors et dans les airs solistes des enfants), il est vrai magnifiés par les interprètes. Il y a du sourcier, mais également de l’inventeur chez Leonardo García Alarcón. La composition le démange – il ne s’en cache d’ailleurs pas, reste à savoir quand il franchira le pas – et il aime arranger, expérimenter, mais également lancer, à l’instar de Savall ou Garrido, des passerelles entre les genres et les cultures, comme hier entre Monteverdi et Piazzolla. En l’occurrence, ce n’est pas sur les sources musicales de Nabucco qu’il s’appuie, mais sur les descriptions que contiennent les Saintes Ecritures (l’argument est librement adapté des chapitres II et III du Livre de Daniel) pour enrichir sa Cappella Mediterranea non seulement de percussions (option déjà explorée dans Il Diluvio), mais également de vents turco-persans ou arméniens (ney, kaval, duduk), l’orientalisme des timbres rehaussant celui de l’écriture. Par-delà l’opulence et le raffinement des textures et des alliages, ces instruments renforcent le pouvoir de suggestion de la musique de Falvetti. Il ne s’agit seulement de planter un décor exotique, mais également, par exemple, d’évoquer le mystère de la foi dans l’extatique et irréel trio « Risolvo morire », un des sommets de l’oeuvre avec la surprenante introduction du prologue où le frémissement des cordes pincées, bientôt rejointes par l’orchestre, donne à entendre le ruissellement de l’Euphrate.
On ne change pas une équipe qui gagne : bien plus qu’une formule, c’est sans doute une des clés du succès sans cesse renouvelé de la Cappella Mediterranea qui couronne autant le travail d’une équipe que la vision et les intuitions d’un chef, aussi doué soit-il. Dans les rôles des enfants juifs, musicalement et vocalement les plus gratifiants, nous retrouvons Mariana Flores (Azaria) et Caroline Weynants (Anania), rivalisant de grâce dans l’insolence rieuse comme dans la ferveur face au bouillant monarque de Fernando Guimarães, prêt à ne faire qu’une bouchée du soprano encore vert et plus juvénile de Magdalena Padilla Olivares (Misaele). Si la basse Alejandro Meerapfel incarne un prophète (Daniel) à la fois empreint de gravité et pétri d’humanité, Capucine Keller et Matteo Bellotto, bien que cantonnés dans des parties allégoriques (Superbia et Eufrate), ne déméritent pas. Seul l’alto cotonneux de Fabian Schofrin, improbable capitaine des milices (Arioco), détonne au sein d’une distribution judicieusement composée. Par contre, la performance du Choeur de Chambre de Namur n’appelle que des louanges et contribue de manière substantielle à cette belle réussite collégiale. D’une abondante production (messes polyphoniques, psaumes concertants, motets pour solistes ou à plusieurs voix avec basse continue), seule la musique d’Il Diluvio Universale (1682) et d’Il Nabucco a été intégralement conservée. Il nous faut donc déjà quitter Falvetti ; cependant, nous pouvons compter sur Leonardo García Alarcón, qui ne manque pas de projets, pour élargir notre horizon musical.