A l’époque où les ouvrages lyriques se chantaient dans la langue des auditeurs, on se souvient avec effroi des infidélités et des contorsions auxquelles se livraient les adaptateurs en charge de la rédaction en français des livrets en langue étrangère. Simultanément, les traductions littéraires, indifférentes à la musique, ont produit plus d’un contresens. Enfin, les didascalies, essentielles à la traduction étaient fréquemment supprimées.
Francois Buhler, en marge de la production d’Aleko à Neuchâtel*, relève le défi et nous offre une nouvelle traduction dont il explicite la démarche. Le résultat est parfaitement convaincant : l’auteur s’impose le respect du texte, de sa structure, de son articulation et de son expression poétique, servant ainsi l’oeuvre avec art et humilité. De surcroît, il nous propose une série d’articles éclairant les multiples facettes d’Aleko : sa genèse, évidemment, mais aussi la place des tziganes et de l’orientalisme dans les littératures française et russe du XIXe siècle. Suivent trois contributions : les topoï romantiques de la liberté, du bonheur et du destin dans le texte de Pouchkine et dans son adaptation musicale, les différences entre le poème et le livret, et enfin l’influence d’Aleko sur I Zingari de Leoncavallo. Le volume est illustré de belles photographies originales, dont certaines prises il y a plus d’un demi-siècle par le père de l’auteur. Un seul regret, mineur : une bibliographie et une discographie succinctes auraient heureusement complété ce précieux ouvrage, essentiel à la compréhension du premier chef-d’oeuvre lyrique de Rachmaninov.
* les 8, 9 et 10 mai prochains, direction musicale : Veneziala Naydenova, mise en scène : Robert Bouvier, avec, entre autres, Philippe Huttenlocher dans le rôle du Vieux (le père de Zemfira).