Mieux vaut compter sur la Pologne que sur la France pour rendre hommage à Alexandre Tansman. Bien que membre de l’Ecole de Paris et naturalisé français, le compositeur était en effet né à Łódź en 1891. Arrivé à Paris en 1919, il fit bientôt la connaissance de Ravel, grâce auquel il rencontra des membres du groupe des Six, mais aussi Florent Schmitt ou Jacques Ibert, et devait par la suite devenir le gendre de Jean Cras. C’est aussi Ravel qui lui présenta la cantatrice Marya Freund, créatrice des Huit mélodies japonaises le 2 février 1922, sous la direction d’André Caplet dans leur version avec orchestre, puis en novembre de la même année, dans la version piano. Sur la partition, les textes empruntés à la culture japonaise figurent en français avec traduction en polonais, et c’est dans cette langue qu’a choisi de les interpréter Małgorzata Woltmann–Zebrowska pour Acte Préalable, label polonais comme son nom (emprunté à Scriabine) ne l’indique pas. Quelques audaces pseudo-exotiques renvoient à un imaginaire de l’Asie alors largement partagé, comme vient de le rappeler le disque Hortus où Cyrille Dubois enregistrait les Petites Images du Japon de Georges Migot (1917). La japonaiserie reste cependant assez discrète ici. Chantant dans sa langue, la mezzo-soprano polonaise fait valoir un timbre chaud, une voix large mais agile ; seuls quelques aigus sont un peu tirés, ici et là dans le disque. Comme pour tout le reste du programme, il s’agit avec ces Mélodies Kaï-Kaï d’un premier enregistrement mondial, et malgré tout le talent de la pianiste Barbara Dmochowska, on aimerait maintenant pouvoir comparer cette partition piano-chant à la version pour voix et orchestre, compte tenu des qualités de la musique symphonique de Tansman, très enregistrée, elle.
Jusque-là, tout va bien, mais les choses se gâtent ensuite. Après les mélodies japonaises en polonais, Małgorzata Woltmann-Zebrowska se lance courageusement dans des œuvres où une autre langue est inévitable. Les Cinq mélodies de 1927 ont été conçues sur des textes écrits en français par Anna Eleonora Brociner, première épouse du compositeur, et créées en 1929 à Paris. Le français de la mezzo polonaise manque cruellement de clarté et d’articulation, et on a beau tendre l’oreille, il est parfois bien difficile de comprendre ce qui se dit. Pire encore, c’est dans un anglais assez fantaisiste que sont interprétées les Six Songs d’après les Poems for Music de la princesse Nada de Bragança, également créées par Marya Freund, en 1936 au Vieux-Colombier. Retour paradoxal au français pour les Sonnets de Shakespeare, car c’est une traduction en prose que Tansman mit en musique.
Se pose ensuite le problème du relatif manque de variété de l’inspiration de Tansman dans ces mélodies. On tend l’oreille, surpris par la soudaine vivacité de « Chat de gouttière », quatrième des Cinq mélodies, on relève les accents jazzy de « Cabaret », la cinquième des Six Songs, mais tout le reste baigne dans une certaine mélancolie généralisée. Si l’on ajoute enfin le minutage assez chiche (ce disque dure moins de trois quarts d’heure), cela finit par faire beaucoup d’obstacles, malgré toute la curiosité que peut inspirer la musique vocale de Tansman, auquel on doit notamment l’oratorio Isaïe le prophète.