Depuis Claudin de Sermisy, la Passion en musique a gagné toute la chrétienté. Dès la fin du XVIIe siècle, passions-motets, passions-oratorios, intégrées ou non à l’office, font fureur. L’Italie, imprégnée de l’héritage de Carissimi, n’y échappe pas. Ainsi, dans les années 1670-1685, deux authentiques grandes passions voient-elles le jour : celle d’Alessandro Scarlatti, dont les opere serie et l’œuvre liturgique sont davantage connus et celle de Veneziano, très différente, davantage tournée vers l’avenir.
Cette Passion selon saint-Jean est une des toutes premières à faire appel à un orchestre à cordes qui ne se contente pas de doubler les voix, mais enrichit l’ensemble de ses timbres et de ses interventions autonomes. Six personnages dialoguent avec la foule, dont trois principaux : Testo (l’Evangéliste, contralto), le Christ (basse) et Pilate (ténor). Le langage musical relève du stile concitato, riche en figuralismes, dont la force est permanente : les tensions des dissonances expressives participent aux couleurs sombres et au pathos de la narration. Les interventions homophones de la foule permettent d’accuser les contrastes, de renforcer les reliefs. La partition originale a été abondée de sept Répons de la Semaine sainte, répartis comme autant de commentaires, parfaitement appropriés, qui en renforcent le caractère pathétique et le climat de recueillement. Le choeur Plange quasi virgo introduit ainsi douloureusement la Passion. Celle-ci culmine dans le Judaei ergo, quoniam parasceve erat confié à Testo, accompagné par le luth, l’orgue et les cordes. Au cœur du baroque napolitain, le récit des souffrances du Christ sur la croix revêt un caractère poignant.
Familière de la direction du chef argentin, Giuseppina Bridelli (Testo), dont la partie est la plus lourde, et Salvo Vitale (Christus) sont les seuls solistes à ne point appartenir au splendide Chœur de Chambre de Namur. Le timbre chaleureux, rond, coloré, le style irréprochable de l’évangéliste et la profondeur du chant du Christ s’accordent à merveille. Aucun des autres solistes ne déçoit. L’enregistrement, public, est porteur d’un souffle, d’une tension extraordinaires qui font oublier un certain manque de clarté et de précision de la restitution. Incontestablement, Leonardo Garcia Alarcón signe ici une nouvelle réussite. Cet enregistrement se substitue comme référence à ceux de René Jacobs (DHM) comme à celui des Madrigalistes de Bâle (Sony) par sa ferveur toute napolitaine déjà, par la conduite, les phrasés et la souplesse que le chef imprime à l’ensemble, ensuite.
La plaquette d’accompagnement, quadrilingue, permet de situer l’œuvre et son langage dans une perspective historique, remarquablement documentée. Elle comporte le texte chanté et sa traduction française.