La vie de Stradella, aventureuse, romanesque à souhait, le mêla à des affaires de jeu, d’escroquerie, à des enlèvements. Il aurait été tué par des spadassins à la solde d’un noble vénitien dont il aurait enlevé la maîtresse (*). Son existence inspira trois opéras au XIXe siècle (Niedermeyer, Flotow et Moscuzza). L’existence de six opéras de Stradella était connue, jusqu’à ce qu’on en découvre trois, écrits à Rome au début de sa carrière, dont cet Amare e fingere. Cet enregistrement est donc une première mondiale. Sa production s’inscrit dans le Stradella Project, dont c’est le septième volume.
Imaginez un opéra à six personnages, quatre nobles et deux de condition plus modeste, avec des changements d’identité, des travestissements, qui autorisent tout, ou presque. Vous pensez à Cosi fan tutte, naturellement. Antérieur de plus d’un siècle, l’ouvrage de Stradella n’en partage que la distribution, la vivacité et les imbroglios. Dans une Arabie de fantaisie, Cloris et Rosbaldo s’aiment, mais conviennent de feindre l’indifférence pour ne pas éveiller la jalousie d’Oronta, reine d’Arabie, amoureuse de ce dernier. Artaban, l’ami de Rosbaldo, s’éprend de Cloris, alors qu’il est à la recherche de sa sœur, enlevée par des bandits. Jalousie, rivalités, conflits risquent d’aboutir à la violence, lorsque cette sœur se révèle être Cloris. Les deux couples convoleront au terme de l’ouvrage. Les personnages du précepteur et de la vieille animent les scènes comiques.
L’ouvrage s’inscrit dans la production de son temps : les très longs récitatifs, ici particulièrement soignés, secco comme accompagnato, ou encore arioso, animés, vigoureux comme interrogatifs ou plaintifs, sont entrecoupés d’arias, parfois très brèves, et de duos. Entre 7 et 9 arias, deux duos pour chaque acte, un « coro a 4 » pour les deux derniers. La fluidité du discours, la variété des expressions permettent d’éviter la lassitude. La distribution, équilibrée, ne comporte aucune faiblesse.
Fileno/Artabano est confié à Mauro Borgioni, beau baryton, voix ample, égale dans tous les registres, avec des graves bien timbrés. Son dernier air du II (« Qual fiera tenzone ») traduit idéalement ses sentiments contradictoires. Les quelques traits sont fort bien conduits. Le ténor Luca Cervoni incarne Coraspe/Rosalbo. L’émission claire trouve les accents héroïques attendus dans les récitatifs, mais excelle également dans les arias, y compris les plus brèves (« Che chi non più dormire » au II). Son rôle est le plus riche en airs et duos, à l’égal de celui de Clori/Despina que chante Paola Valentina Molinari, soprano au timbre séduisant. La joie dansante de l’amour inspire le « F’a pur quanto vuoi ». Sa peine (« Misera, e che mi resta …/ Prendi quest’ ultime tenera lacrime ») est émouvante. Oronta / Celia est confiée à José Maria Lo Monaco. De ses nombreuses interventions, retenons le « Stella rea, stella infierita », décidé, vigoureux et douloureux. Chiara Brunello, alto, prête sa voix à Silvano, rôle secondaire, qui ne démérite jamais. C’est Silvia Frigato, soprano, qui chante Erinda. Si la voix paraît pincée dans les aigus des récitatifs, ses trois arias du dernier acte sont autant de réussites, à l’émission pleinement épanouie.
Outre les cinq instruments à archet, un théorbe, un archiluth, une harpe, un clavecin et un positif animent l’ensemble Mare Nostrum, dirigés par Andrea De Carlo, avec un réel sens dramatique et une attention portée à chacun. Le continuo, renouvelé en fonction des scènes, est un modèle de vie et de couleurs, auquel l’orgue apporte beaucoup.
La prise de son, proche, généreuse, met chaque voix, chaque instrument ou pupitre, en valeur, mais diffère considérablement de la perception d’un auditeur en salle. Confortant la stature de Stradella, sans en renouveler la perception, cette découverte, servie avec engagement, réjouira tous les amateurs de lyrique baroque.
La riche notice, trilingue (italien, anglais et français), outre la présentation de l’ ouvrage, comporte l’intégralité du livret et sa traduction.
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(*) La relation détaillée de Bourdelot, reproduite par Fétis (vol.8, p. 149) mérite d’être lue.