D’Ambroise Thomas, Jules Combarieu écrivait en 1916 : « Vivant, il était déjà et voulut rester l’homme du passé ». En quelques mots, le contemporain de Gounod, aura été clairement caractérisé. Même si Mignon et Hamlet restent au répertoire de nombre de scènes lyriques, le compositeur est bien rentré dans l’ombre (dommage pour Le Caïd, boudé par nos scènes), malgré son magistère, essentiel à la formation de Massenet. C’est certainement là qu’il faut chercher la curiosité de Jean-Christophe Branger à son endroit. En effet, partageant son enseignement universitaire entre Lyon et Metz, après Saint-Etienne, le chercheur a consacré l’essentiel de ses travaux à l’opéra français sous la IIIe République, référence incontournable pour ce qui concerne plus particulièrement Massenet.
Le Centre de Recherche Universitaire Lorrain Histoire publie maintenant cet ouvrage dont le titre « Ambroise Thomas, Lettres à Jacques-Léopold et Henri Heugel » ne traduit qu’une partie de son contenu. 94 lettres ou billets brefs sont en effet reproduits et commentés, rédigés entre mars 1867 et 1891, précieux documents qui permettent de mieux connaître l’homme, son caractère, l’évolution de ses travaux, et sa relation privilégiée à ses éditeurs. L’introduction que signe Jean-Christophe Branger fait le point le mieux documenté sur la connaissance du compositeur et les raisons de sa disgrâce. Elle présente le corpus et le dossier de presse qui le suit.
Bon, aimable, élégant, travailleur, sans aspérité aucune, l’homme était d’un commerce agréable, mais sa musique, résolument inscrite dans l’héritage d’Auber, en a les qualités, associées à ce que ses contemporains considèrent, à juste titre, comme ses insuffisances. Conformiste, d’une réelle maîtrise d’écriture, habile orchestrateur, soigneux à l’extrême, mais d’un caractère falot, manquant de souffle, tel nous apparaît Ambroise Thomas. Sans doute eut-il aussi le tort de choisir des livrets ambitieux, versions déjà affadies des chefs-d’œuvre qui les fondaient.
La relation épistolaire rapportée correspond à la période d’écriture et à la création de Françoise de Rimini, en 1882. En parfaite logique, aux 63 pages consacrées à cette correspondance, l’auteur associe un dossier de presse parisien qui se révèle d’une richesse singulière. Fort de ses 130 pages, extrêmement denses, nous allons découvrir l’opéra au travers des critiques que suscita sa création. On mesurera déjà l’importance accordée par la presse du temps à la vie lyrique. Outre les informations relatives à l’ouvrage et la pluralité des regards des critiques, les analyses sont le plus souvent fouillées, réservant une place essentielle à l’œuvre créée, laissant quelque peu les interprètes dans l’ombre. Les plumes les plus acérées de l’époque rivalisent de talent. Tous les critiques semblent avoir en commun une excellente connaissance du livret comme de la partition, éditée simultanément par Heugel. Sont ainsi publiés 25 auteurs, certains rédigeant deux articles relatifs à Françoise de Rimini dans leur journal. On croit rêver. D’autant que la richesse de leurs contributions est appréciable, allant de une à sept pages et demi par article. Parmi les critiques, pas moins de six compositeurs, dont Reyer, Widor, Serpette, Dubois, Joncières. En nous gardant de cultiver la nostalgie, quel heureux temps !
Si leur lecture est une source essentielle de la connaissance et de la réception de l’opéra, on savoure au détour tel commentaire, relatif aux « intempérances de la claque » (*), au statisme des chœurs, déploré par Théodore Dubois (**)… et à quantité de sujets connexes. Ainsi les pratiques du temps, la vie musicale gravitant autour de l’opéra, nous sont-elles peintes de la façon la plus sincère. Evidemment, l’appareil critique – notes, table, index – fait de cet ouvrage une précieuse référence.
Contribution d’un réel intérêt, qui participe de la connaissance du compositeur certes, mais, surtout de l’ouvrage où il s’est le plus investi, et des réactions qu’il suscita, cette publication n’intéressera pas seulement les spécialistes, mais tous les passionnés et curieux de cette période féconde en chefs-d’œuvre.
(*) p. 131, l’auteur – Henry Fouquier – d’ajouter : « Je n’ignore pas l’utilité de MM les chevaliers du lustre. Mais ils devraient mettre plus de discrétion dans leurs enthousiasmes ! Il était parfaitement inutile de bisser tel air vulgaire dit de façon ordinaire par Mlle Richard. Outre que le fait de répéter un morceau est une mauvaise pratique, il faudrait que la demande en vînt du public sincère et libre… »
(**) p.171, « Pourquoi les chœurs de l’Opéra, comme ceux des autres théâtres du reste, restent-ils constamment immobiles, comme pétrifiés, et ne prennent-ils nulle part à l’action ? il y a là quelque chose à faire … »