Cet Incoronazione di Poppea produit par l’Opéra National de Norvège en 2010 reçut un accueil extrêmement controversé. On comprend aisément pourquoi, tant certaines scènes sont à la limite du tolérable !
Le DVD qui paraît ce mois-ci n’en est pas la simple captation vidéo mais intègre un retravail sur les images.
Ici, sang et sexe sont omniprésents dans leurs occurrences les plus crues, les plus scabreuses ; certains passages sont à la limite du regardable et pourraient dignement figurer dans un film gore ou classé X. Surenchère, vulgarité gratuite menacent à plusieurs reprises mais la cohérence de l’ensemble s’impose finalement car ce parti-pris respecte la violence réelle du propos… même si celle-ci est habituellement moins explicite.
Dès le prologue, Fortune et Vertu se disputent la primauté sur les humains, elles s’inclineront finalement toutes deux devant la suprématie de l’Amour. Ce dernier soutient Poppée qui veut devenir impératrice ; plus que l’amour, c’est l’ambition qui est glorifiée ici. Dans le monde noir d’un Monteverdi de 75 ans, l’amour ne s’embarrasse donc pas de morale. Si le philosophe Sénèque est présent sur scène, c’est surtout la pensée de Machiavel, contemporain de l’œuvre, qui s’illustre ici. La fin justifie les moyens et tous les protagonistes de l’histoire aspirent au pouvoir. Peu sont vraiment sympathiques, les criminels sont sincères dans leur tendresse et les victimes plutôt antipathiques.
Le chant bien entendu, accentue cette caractérisation des protagonistes. Amelie Aldenheim (Amour) et Marita Sølberg (Drusilla) possèdent un soprano lumineux et chaud adapté à leurs rôles. Birgitte Christensen offre un beau contraste entre une voix sensuelle, équilibrée, et la noirceur de l’arriviste Poppée. Patricia Bardon est un peu moins convaincante en Octavie, impératrice bientôt déchue. Le Sénèque de Giovanni Battista Parodi pèche par son vibrato un peu large, une voix peut-être trop grande pour le rôle et une interprétation monolithique qu’on lui pardonne car le personnage possède cette raideur dogmatique.
Les deux contre-ténors Tim Mead (Othon) et Jacek Laszczkowski (Neron) ont le même défaut : une voix quelque peu instable et tendue dans les aigus. Tim Mead prend de la puissance et de l’assurance dans plusieurs interventions alors qu’ailleurs certaines parties sont clairement trop perchées pour lui. Jacek Laszczkowski termine la représentation avec de l’air dans la voix et un larynx monté par la fatigue. Toutefois on ne peut que saluer sa performance scénique : le délire sensuel et sanguinaire s’empare peu à peu de lui et son jeu se dérègle subtilement au fil de l’action.
Les personnages principaux exposent leurs excès de façon tellement violente que les figures traditionnellement les plus outrés, comme Arnalta la nourrice de Poppée, en deviennent touchantes et bien plus « normales » que leurs maîtres. Un homme travesti interprète toujours ce personnage, soulignant ainsi combien Poppée est une femme contre-nature, puisque nourrie au sein d’un homme. Emiliano Gonzalez-Toro est doté d’un timbre particulièrement suave, et chacune de de ses interventions ravit, notamment la berceuse de l’acte II, tendre et délicate. Tone Kruse, enfin,est une Nourrice à l’alto rare.
L’orchestre d’Alessandro Di Marchifait montre d’une belle énergie, en particulier dans les passages de danse mais manque parfois de nuances. La mort de Sénèque, par exemple, aurait pu être bien plus poignante. Certains passages rompent franchement avec l’orchestration originale pour des incursions dans le jazz ou la musique folklorique. Était-ce bien nécessaire ?
L’opéra s’achève habituellement sur l’extase des amants assassins, même si le spectateur sait que la véritable Poppée succomba finalement sous les coups de son Néron. Ici on dépasse la fin de convention ; le couple monstrueux interprète le sublime « Pur ti Miro » en assassinant, le sourire au lèvre, l’ensemble des protagonistes encore en vie. Si la lettre du livret n’est pas parfaitement respectée, force est de constater que l’esprit de l’œuvre est là. D’ailleurs on ne s’ennuie pas au cours de ces trois heures de spectacle, ce qui n’est pas le cas de toutes les versions scéniques du L’Incoronazione di Poppea. Les outrances de la mise en scène sont discutables, certes, mais le cinéma nous offrent régulièrement bien d’autres excès de ce type, sans servir une musique aussi sublime.Ce mois-ci, l’équipe d’Ole Anders Tandberg propose au public d’Oslo une nouvelle incursion chez Monteverdi avec Il Ritorno d’Ulisse in patria. Voilà qui pique la curiosité.