Selon une formule en vogue sur Forum Opéra, « beaucoup de gens vont me détester, mais » rêvons un peu. Rêvons d’un festival où l’on n’honorerait pas seulement un compositeur à travers les titres dûment approuvés, mais aussi à travers ses œuvres de jeunesse, jusqu’ici dissimulées avec presque autant de soin qu’une maladie honteuse. Rêvons d’un festival où l’on ne feindrait pas d’ignorer que ledit génie a eu un fils lui-même compositeur dont la production, sans atteindre les mêmes sommets, mérite quand même un coup d’oreille. C’est un rêve bien sûr, et le festival en question n’est sans doute pas près, hélas, de prendre ce genre d’orientation.
En attendant, donc, que les institutions les plus richement dotées s’intéressent à lui, réjouissons-nous de voir que Siegfried Wagner trouve ailleurs des défenseurs, grâce auquel il bénéficie d’un peu de cette poussière d’étoiles dans laquelle baignent son père et son grand-père. C’est à Bochum qu’a été monté en 2015 An Allem ist Hütchen Schuld !, pour le centenaire de la composition du onzième opéra parmi les dix-neuf qu’a conçus le petit-fils de Franz Liszt. Evidemment, ces opéras féeriques n’ont rien de révolutionnaire, mais l’on y entend de la fort belle musique, des mélodies entêtantes, imaginées et orchestrées par un véritable amoureux des voix. Avec Tout est de la faute de Petit-Chapeau, patchwork inspiré par une quarantaine de contes populaires allemands, on se situe entre Humperdinck, auprès de qui le jeune Siegi avait étudié, et le Dvořák de Roussalka.
De la poussière d’étoiles, il en faudrait à foison pour mettre en scène un opéra où l’on rencontre le Soleil, la Lune, une Etoile, la Mort, et plusieurs de ces Fées auxquelles un certain Richard W. avait consacré son premier opus lyrique. Dans la grande salle de l’université de Bochum où ce spectacle est donné, on tente de pallier le manque de moyens par l’usage de la vidéo et par un « minimalisme délibéré », et en exploitant davantage les aspects réalistes du livret, où l’on fait rouler des meules de fromage dès la première scène… Malgré tout, le résultat n’a rien de bien magique, et cette mise en espace réalisée devant l’orchestre peine à proposer un équivalent visuel à une action certes difficilement représentable (une autre production récente, visible sur YouTube, confirme que la tâche est ardue).
Heureusement, l’aspect musical est plus satisfaisant : comme toujours en Allemagne, même dans des villes moyennes, l’orchestre local est de qualité, et Lionel Friend en tire le meilleur. Le chœur de l’université de Bochum a beaucoup moins à faire puisqu’il n’intervient qu’à la toute fin de l’œuvre. Quant aux solistes, on s’était assuré la participation d’une chanteuse qui peut passer pour une véritable spécialiste de Siegfried Wagner, puisque la soprano Rebecca Brobert a interprété le premier rôle féminin dans Der Kobold (DVD Marco Polo sorti en 2009), Der Schmied von Marienburg (CD Marco Polo) et Der Heidenkönig. La voix a en effet quelque chose d’assez idéalement adapté à cette musique : ampleur sans lourdeur, force mais clarté. Face à elle, Hans-Georg Priese affronte avec aplomb la tessiture de Frieder, et l’on croit sans peine qu’il a pu être engagé comme doublure à Bayreuth pour Parsifal et Tannhäuser. La mezzo Julia Ostertag est assez convaincante dans le rôle de la méchante mère du héros ; pour la détestable Trude, riche sorcière qui s’oppose aux amours du couple central, Maarja Purga fait de son mieux mais il lui manque l’extrême grave d’un rôle tenu à la création par l’incomparable Sigrid Onegin. Autour de ces quatre rôles principaux s’affaire toute une équipe de chanteurs cumulant plusieurs personnages, parmi lesquels on signalera le timbre argentin d’Annamária Kászoni et les barytons Ralf Sauerbrey et Axel Wolloscheck.
En attendant qu’une grande scène, germanique ou pas, redonne sa chance à Siegfried Wagner, remercions Marco Polo de nous offrir cette occasion de voir ses œuvres et pas seulement de les entendre (pour l’oreille seule, CPO a déjà fait l’essentiel, avec une intégrale de l’œuvre pour orchestre en sept CD).