Commençons par le sujet qui fâche et qui fera certainement jaser : la couverture de cet album de musique sacrée, à savoir le buste du chanteur, à nouveau nu, sous les volutes d’un voile sombre. Ce cliché paraît tellement emblématique du marketing à l’oeuvre depuis ses débuts et qui exploite à l’envi les charmes physiques de l’artiste. N’en déplaise à certaines âmes trop charitables et surtout naïves, Jakub Jozef Orliński n’est plus un enfant de chœur et il n’est pas victime, mais complice de ces mises en scène racoleuses. Simple référence à la sculpture, se défend l’intéressé, qui compte de nombreuses figures religieuses ainsi voilées. Le Bernin nous vient bien sûr à l’esprit, même si le ramage du jeune homme évoque davantage les courbes suaves de Canova que la virtuosité expressive du génie baroque, mais le film promotionnel de Warner, dans lequel la caméra détaille amoureusement son torse enlacé par une inconnue, achève de nous convaincre que les producteurs cherchent plutôt à éveiller des « désirs de douce tendresse », pour reprendre les paroles du Christ chez Zelenka (Smanie di dolci affetti). Or, il suffit d’un air, la plage inaugurale du disque, pour ébranler nos préventions et même, contre toute attente, nous subjuguer. Jakub Józef Orliński y est touché par la grâce – des mots imparfaits et souvent galvaudés, mais aucun ne peut traduire ce je ne sais quoi qui fait toute la différence et nous étreint profondément.
La plupart de ses admirateurs ont découvert le contre-ténor sur la Toile, dans « Vedrò con mio diletto » de Vivaldi, interprété en direct à Aix-en-Provence, mais Philippe Jaroussky avait déjà dépoussiéré ce joyau et Cecilia Bartoli l’a récemment sublimé pour les micros de Decca. En revanche, Jakub Józef Orliński est le premier à enregistrer « Alla gente a Dio diletta » et il restera, n’en doutons pas, associé dans toutes les mémoires à la révélation de cette délicieuse aria napolitaine. Non seulement la partition de Nicola Fago flatte la beauté du timbre, immédiatement reconnaissable, et un bas médium chaleureux, mais la tendre candeur et la simplicité de son interprétation nous désarment. Judicieusement composé et agencé, son premier récital devrait combler les mélomanes exigeants, puisqu’il multiplie les premières mondiales, autant d’inédits qui ont aussi l’avantage d’éviter la comparaison avec d’autres interprètes, contrairement, par exemple, au fameux Nisi Dominus de Vivaldi qu’il ne donne qu’en concert.
Le programme a manifestement été calibré pour permettre à l’instrument, fort léger, de déployer ses ailes sans le brutaliser. Malgré ces précautions, les moyens de Jakub Józef Orliński semblent toujours modestes en regard de ceux d’autres contre-ténors, y compris de sa génération. L’émission manque de franchise et la dynamique d’ampleur pour affronter l’écriture tendue et richement contrastée avec laquelle Hasse traduit l’extrême désarroi de Pierre devant la Croix, la crispation de l’aigu ravivant nos inquiétudes. Zelenka et Schiassi requièrent également des couleurs plus vivantes et un engagement plus entier, viscéral. Eclats dramatiques et intensité pathétique ne sont pas pour Orliński ; en revanche, que de finesses dans le Confitebor de Fago ou l’Alma Redemptoris Mater de Heinichen ! La subtilité caractérise, plus que tout, un art sobre mais éminemment suggestif : qu’il s’agisse de phraser, de relancer le discours dans les reprises, de ciseler les mots ou encore de glisser en registre de poitrine, sans heurt mais en exploitant délicatement les changements d’éclairage. Puisse sa technique s’affermir et favoriser l’épanouissement d’une personnalité originale, qui pourrait bien nous surprendre et que nous prendrons plaisir à suivre.