Dans son traité De l’institution oratoire, Quintilien divise l’art du discours en cinq points essentiels, cinq points qui peuvent s’appliquer à cet art de l’éloquence qu’était le chant durant les décennies qui virent la naissance de l’opéra.
D’abord, l’Invention : l’orateur doit trouver quoi dire. Aucun problème de ce côté-là pour Roberta Mameli, qui a trouvé une matière amplement suffisante dans les œuvres des compositeurs italiens nés entre 1550 et 1625. Matière riche et diverse, essentiellement fondée sur les tourments amoureux, sur le doux martyre des cœurs, sur les regards meurtriers ou consolateurs des infidèles et des cruel(le)s, ce que résume parfaitement le titre « Anime amanti », âmes éprises.
Ensuite, la Disposition : il faut savoir organiser ce qu’on va dire. Le récital commence et se termine sur des sommets monteverdiens, le lamento d’Ariane et les adieux d’Octavie. Entre ces deux extrémités, Monteverdi revient deux fois, avec des pièces un peu moins fréquentées, « Ohimè ch’io cado », qui s’ouvre par un cri de douleur qui est presque une onomatopée, ou « Ecco di dolci raggi il sol armato ». Le père de L’incoronazione di Poppea est entouré de Caccini, son aîné d’une quinzaine d’années, représenté notamment par l’incontournable « Amarilli, mia bella », et surtout de ses cadets comme l’excellent Sigismondo d’India, dont on savoure ici la fort belle musique, tant dans le style galant (« Vorrei baciarti, o Filii »), ou dans le genre tragique (lamento de Didon). De Barbara Strozzi, on apprécie tout le raffinement de « L’Eraclito amoroso ».
Troisième principe, l’Elocution : choisir la façon de dire ce que l’on a à dire. Le dépouillement prévaut ici, le luth (ou plutôt différents types de luth) répondant seul à la voix. Luca Planca est pour la soprano un complice de qualité, qui prend parfois le dessus pour de courtes pauses instrumentales, dont une improvisation de son cru.
L’Action consiste à savoir allier la parole et le geste. Evidemment, au disque, c’est au « geste vocal » que l’on songe, et sur ce plan, Robert Mameli maîtrise parfaitement la rhétorique du chant, s’autorisant tous les effets possibles pour mieux sculpter le texte. L’italien est connu pour ses voyelles, mais il est aussi riche de consonnes, que la soprano met admirablement en relief. Elle s’autorise de soudains allègements, proches du murmure mais toujours articulés, parfois une stridence contrôlée (sur « perfido »), et l’on reste étonné par des figuralismes comme ce tremblement d’une note grave sur « ardor », ou la brusque plongée de la voix dans le Strozzi, sur les paroles « che m’uccida e sotterrimi ».
Le bon orateur enfin doit faire preuve de Mémoire, pour retenir ce qu’il a à dire, mais c’est ici plutôt la mémoire de l’auditeur qui se charge d’impressions durables, jusqu’à l’ultime plage : est-ce d’être native de Rome qui donne à Roberta Mameli tant de sincérité dans la plainte d’Octavie ? Certes, elle n’a pas la voix grave qu’on a l’habitude d’entendre dans ce rôle, mais sa lamentation n’en est pas moins émouvante, tout comme son départ sur la pointe des pieds, sur un ultime Addio…