En quelques années, Anja Harteros s’est imposée comme une des plus grandes interprètes de Verdi, de Wagner et de Strauss. La critique, unanime, salue chacune de ses prestations tant à la scène qu’au disque. Cet enregistrement, le premier qui lui fut exclusivement consacré, est heureusement réédité et nous rappelle quelle extraordinaire mozartienne elle fut. N’avait-elle pas incarné Zerline dès son adolescence ?
L’Idomeneo auquel elle participa à Salzbourg en 2006 (Norrington, DVD Decca), avait fait forte impression. Le récitatif et l’air final d’Elettra qui ouvrent l’enregistrement confirment toutes ses qualités. Dans cette formidable scène de furie, Anja Harteros est magistrale de puissance, de projection, d’une intelligence du chant proprement stupéfiante. Les trois airs des Noces de Figaro et de Cosi fan tutte nous renvoient à ses débuts puisqu’elle chantait la Comtesse et Fiodiligi dès 1990. Le « Porgi amor » est un classique incontournable. Nostalgie émouvante, retenue, timbre moiré, souffle infini au service d’une ligne parfaite, bref un sommet. Les deux éclairages de la personnalité de Fiordiligi sont superbement illustrés. Tout d’abord le récitatif indigné « Temerari » suivi du volontaire « Come scoglio », puis le sensible et émouvant « Ei parte – senti ! Ah no !… Per pietà ». Fraîcheur constante d’un chant juvénile et ardent, naturel, évident.
Les trois airs de concert ne feront que confirmer les qualités mozartiennes d’Anja Harteros. Elle donne au morceau de bravoure « A, Io previdi » une dynamique implacable. L’agitation désemparée d’Andromeda cède la place à l’extatique cavatine où la voix et le hautbois enlacent leur chant. Elle met toute sa chaleur à l’expression de la tendresse sensuelle de Lucilla pour son mari malheureux, « Va do, ma dove ? » Après la somptuosité de ces deux airs, la colère, puis le désespoir aigu de Fulvie « Misera ! dove son ? » nous émeuvent par la simplicité du chant, accompagné des cordes, des flûtes et des cors. De nouveau une longueur filée du chant dont seule Anja Harteros semble capable.
La plus grande scène dramatique de Haydn, « Berenice cha fai ? », ne dépare pas ici. Ecrite en 1795, Mozart aurait pu la signer s’il n’était disparu. Proprement animée, variée, riche en modulations expressives, elle s’inscrit dans le droit fil des airs de concert. Les deux arias sont grandioses, servis par une exceptionnelle musicienne, aux moyens extraordinaires, avec une ligne de chant merveilleusement conduite. La clarté des aigus comme la couleur des graves qui achèvent la deuxième aria sont remarquables : un soprano dramatique qui se double d’un soprano léger.
L’unique réserve vient du choix des Wiener Symphoniker par le producteur. La direction de Pinchas Steinberg est un modèle du genre, mais l’orchestre n’a évidemment pas les couleurs d’un orchestre d’époque, avec cors naturels, par exemple. Cette observation ne saurait altérer le bonheur de découvrir un enregistrement bouleversant.