Septième opéra de Verdi, Giovanna d’Arco est créé à la Scala en 1845 avec un accueil favorable de la part du public, tant à Milan que dans les autres villes de la péninsule où il est rapidement repris, avant de tomber peu à peu dans l’oubli. La musique pourtant comporte de belles pages et surtout un rôle valorisant pour la soprano. Quant au livret, librement inspiré d’une pièce de Schiller, il n’a qu’un lointain rapport avec la réalité historique. Ici Jeanne vit une romance avec Charles VII et subit la trahison de son père qui l’accuse de sorcellerie et la livre aux Anglais. Elle ne meurt pas sur le bûcher mais au combat. Il faut dire qu’à cette époque, et surtout en Italie, rares étaient ceux qui connaissaient l’histoire de la Pucelle d’Orléans. Les choses changeront à partir de sa canonisation en 1920 et aujourd’hui on a du mal à reconnaître Jeanne d’Arc sous les traits de la Giovanna imaginé par Verdi et Temistocle Solera. Cela explique peut-être le peu d’intérêt que suscite l’ouvrage. Néanmoins pour le cinquantième anniversaire de la mort du compositeur, il sera donné à Naples puis à Venise avec Renata Tebaldi qui le chanta également à Paris. Depuis il a bénéficié de quelques reprises sporadiques. Au début des années 70, la jeune Ricciarelli l’a mis à son répertoire. Le collectionneur pourra se procurer l’écho de ces soirées au son parfois précaire, notamment celles avec Tebaldi. La seule version discographique officielle jusqu’ici, était l’intégrale enregistrée en studio en 1973 par EMI avec une distribution qui réunissait Montserrat Caballé, Placido Domingo et Sherrill Milnes sous la baguette enfiévrée de James Levine.
C’est à un autre anniversaire, celui du bicentenaire de la naissance de Verdi, que l’on doit l’enregistrement qui nous occupe aujourd’hui, capté durant l’été 2013, lors du festival de Salzbourg, avec une distribution tout aussi électrisante autour de la Giovanna d’Anna Netrebko.
On y retrouve Placido Domingo, cette fois dans le rôle de Giacomo, le père de l’héroïne. D’aucuns contestent parfois la légitimité du ténor espagnol dans des emplois de baryton. Pourtant son timbre sombre se différencie suffisamment de celui de Francesco Meli pour qu’on n’ait pas l’impression d’avoir affaire à deux ténors et sa prestation emporte pleinement l’adhésion d’autant que le chanteur affiche une santé vocale stupéfiante. Dans son air « Ecco il luogo e il momento » qui ouvre l’acte II, le timbre n’est pas plus clair que celui de Sherrill Millnes chez Levine, en revanche l’engagement dramatique est infiniment plus intense.
Francesco Meli aborde le personnage de Carlo VII avec moins de vaillance que son illustre aîné mais il lui confère une certaine fragilité qui sied à ce roi peu sûr de lui, constamment en proie au doute et à l’inquiétude. sa longue fréquentation du bel canto lui permet d’affronter avec une technique accomplie les passages ornementés qui parsèment l’ouvrage. Le timbre ne manque pas de séduction et même si la voix plafonne un peu dans l’aigu, le ténor italien n’en livre pas moins une interprétation tout à fait convaincante dès son air d’entrée « Sotto una quercia parvemi », phrasé avec élégance.
Anna Netrebko est quant à elle la grande triomphatrice de cette intégrale dont elle justifierait à elle seule l’acquisition. Elle s’empare du rôle de Giovanna avec un enthousiasme et un aplomb irrésistibles. La soprano dispose d’un timbre plus corsé que celui de Montserrat Caballé et d’une solidité vocale à toute épreuve qui sied à cette vierge guerrière dont les accents héroïques préfigurent Odabella. Dotée d’une large palette de couleurs et d’une dynamique qui lui permet de couvrir sans effort orchestre et chœur dans les ensembles ou d’émettre de délicats piani, comme en témoigne la scène finale, sa voix se joue de toute les difficultés qui émaillent sa partie. Son air d’entrée « Son guerriera » est chanté avec toute la vaillance et la vélocité requises et sa prière « A te fidente apro il cor » au début du trois est un modèle d’émotion mêlé de ferveur.
Les seconds rôles n’appellent aucune réserve.
Moins fougueux que Levine, Paolo Carignani dirige avec énergie cette partition dans laquelle il excelle à exalter les envolées patriotiques et militaires, tout en demeurant attentif aux quelques passages élégiaques comme la dernière section du duo entre Giovanna et Carlo « T’arretri e palpiti » au début de l’acte un, la scène de la prison et la mort de l’héroïne au trois. La prise de son, assez mate, n’a pas la clarté et la transparence qu’on trouve dans l’intégrale EMI.
Voilà une nouvelle version bienvenue de Giovanna d’Arco qui, avec des qualités différentes, se hisse sur les mêmes sommets que celle de James Levine.