Après un premier disque remarqué présentant trois cantates de Weimar (La Cité Céleste, Paraty, 2017), l’ensemble Alia Mens, dirigé par Olivier Spilmont, consacre un CD à trois autres cantates de Jean-Sébastien Bach. Le choix des œuvres répond au désir de proposer un parcours lumineux, à l’image du titre choisi, Anti-Melancholicus, remède à la mélancolie mais aussi arrachement à la tentation du désespoir – puisque la mélancolie, proche de l’acédie pour les théologiens du Moyen Âge, était pour Luther une maladie du diable et un redoutable péché.
En affirmant le pouvoir de la musique, ce nouveau disque d’Alia Mens est une réussite : la puissance du chant et de la musique est magnifiée par la sobriété et la précision de l’exécution. Loin des dérèglements et des excès de la mélancolie, l’équilibre constant des instruments et des voix communique une forme d’apaisement joyeux qui mêle l’allégresse à la sérénité. Pourtant, la teneur des textes ne cache rien des difficultés de l’existence ni de la détresse humaine. Le programme, conçu « comme un itinéraire, comme le dessin d’un cheminement symbolique » par Olivier Spilmont, s’ouvre sur ce qui est sans doute la première cantate de Bach (probablement composée en 1707), Aus der Tiefen rufe ich, Herr, zu dir (Des profondeurs, je crie vers toi, Seigneur, BWV 131) : le tempo initial très lent, particulièrement retenu, invite au recueillement qui précède l’entrain avec lequel le chant se déploie.
Les quatre solistes – la soprano Élodie Fonnard, le contre-ténor William Shelton, le ténor Thomas Hobbs et le baryton Romain Bockler, jeunes interprètes talentueux – partagent avec les instrumentistes le sens de l’expressivité contenue, et cette faculté de rendre perceptible, au-delà du verbe et de la musique, la puissance spirituelle d’une œuvre admirablement servie par la sobriété de son interprétation.
Précision des attaques, clarté de l’élocution, intelligence du verbe, superposition des mélodies vocales et instrumentales, tout concourt ici à une forme de perfection qui va bien au-delà de la simple séduction de l’oreille et qui invite à la méditation spirituelle. Ces qualités sont présentes dans l’ensemble du parcours, grâce à une maîtrise remarquable des volumes sonores permettant tantôt de faire entendre une fusion des voix et des timbres des instruments, tantôt de souligner les effets de réponse et d’écho.
Si la dernière œuvre enregistrée est à peu près contemporaine de la première – il s’agit de la cantate funèbre Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit (Le temps de Dieu est le meilleur des temps, BWV 106), également appelée Actus tragicus – on peut entendre au centre de cet « itinéraire » une cantate de 1726, Meine Seufzer, meine Tränen (Mes soupirs, mes larmes, BWV 13), que Bach qualifiait de concerto d’église. L’expressivité marquée par les accents initiaux des mots (« Seufzer », « Tränen », « ächzen », « weinen »…) alterne avec le recueillement des notes tenues, comme autant d’ouvertures vers l’infini qui modifient la perception ordinaire, tout comme le lyrisme consolateur du hautbois.
Dans la Sonatina de la dernière cantate (BWV 106), le rapport au temps se trouve lui aussi réinventé, par la sérénité initiale des flûtes, dont la douceur révèle une profondeur que souligne l’architecture sonore formée par les cordes, débouchant sur le silence avant l’animation progressive du chœur « Gottes Zeit ».
Un livret soigné accompagne le CD (label Paraty), avec non seulement le texte intégral des cantates en allemand, français et anglais, mais aussi un commentaire musicologique de Gilles Cantagrel et un texte de présentation d’Olivier Spilmont.
On ne saurait trop recommander ce disque à tous les amoureux de Bach et à quiconque souhaite découvrir (ou redécouvrir) ses cantates.