Au début de l’année 2012, Sandrine Piau livrait un récital intitulé « Le Triomphe de l’amour », dans lequel scintillait, parmi tant de joyaux, un air extrait de l’opéra Scanderberg (1735) de François Rebel et François Francœur. De ces compositeurs travaillant en tandem, on connaissait déjà un délicieux Pyrame et Thisbé (1726) révélé en 2008 par l’ensemble Stradivaria (Mirare), mais l’air « Fureur, amour, secondez mon impatience », précédé de son récitatif, constituait un extraordinaire morceau de tragédie, et l’on formulait le vœu de découvrir au plus vite l’ensemble de cette œuvre. C’est pourtant le Ballet de la paix (1738) qu’ont recréé en février 2013 les musiciens de l’ensemble Les Surprises, qui livre aujourd’hui ce disque réunissant deux générations de la famille Rebel. Le père, Jean-Féry (1666-1747), est l’immortel auteur de la symphonie Les Eléments, avec son stupéfiant et très dissonant « Chaos » initial. On trouvera ici ses deux pièces les plus connues (déjà gravées avec la susdite symphonie par Marc Minkowski en 2000, entre autres). Le fils, François (1701-1775), fut avec Francoeur directeur de l’Académie royale de musique de 1757 à 1767 et produisit avec lui nombre d’opéras et de ballets, notamment Zélindor, roi des Sylphes, enregistré par Opéra Lafayette chez Naxos.
Les œuvres de Rebel fils commencent donc à être un peu moins méconnues, et ce bouquet d’extrait, pour être riche en découvertes, n’apporte hélas pas que des satisfactions. La partie vocale du disque s’ouvre avec l’air « Quel éclat dans les cieux » : comme par un fait exprès, par une ironie involontaire, le timbre d’Etienne Bazola s’avère alors redoutablement terne. Même une voix de basse devrait être capable de conférer plus de relief, plus d’éclat, justement, à cette page qui évoque la descente d’Apollon sur terre. Même souci dans l’air « Il gémit dans les fers », tiré de l’opéra-ballet Le Prince de Noisy (1749) où la voix reste étouffée, sourde, alors qu’il s’agit d’invoquer des démons. L’air « Enfants de la paix », plus placide, est bien plus réussi ; cela ne tient pourtant pas seulement au ton requis, et l’on en vient à penser qu’une partie du problème vient de la prise de son, excessivement réverbérante. L’espace culturel où l’enregistrement a été réalisé est en fait une chapelle dont l’acoustique ne se prête peut-être pas au mieux à l’équilibre entre instruments et voix, celles-ci semblant noyées dans le flou (c’est notamment le cas dans le duo « Que les vents les plus doux ») alors que les instruments sonnent de façon beaucoup plus nette. La prise de son explique sans doute aussi pourquoi l’on comprend si mal le texte que chante Juliette Perret : la soprano pourrait se montrer plus soucieuse encore de nous faire comprendre le sens des mots, les consonnes ont trop vite tendance à se perdre dans l’aigu, tandis que le grave se décolore. La comparaison est cruelle si l’on écoute l’air de Scanderberg par Sandrine Piau juste avant ou juste après l’interprétation qu’en donne ici Juliette Perret, on croit avoir affaire à deux partitions différentes. Problème supplémentaire, sans rapport avec la prise de son : la battue trop souvent métronomique qu’adopte l’ensemble Les Surprises, particulièrement pour« Il gémit dans les fers ». Les instrumentistes ne sont pas en cause, leur sonorité chaude a de quoi séduire l’auditeur, mais il manque à ces airs une respiration plus ample, à ces récitatifs une urgence dramatique qui captiverait l’attention, même pour une série d’extraits coupés de leur contexte. Autrement dit, moins de beau son, plus d’expression, voilà le but vers quoi devrait tendre cet encore jeune ensemble (fondé en 2010) ainsi que les chanteurs avec lesquels il travaille.