Une chanteuse française qui s’exporte aussi bien ne peut pas laisser indifférent. Une artiste aussi attachante suscite naturellement l’intérêt lorsqu’elle propose son premier récital. Autant dire que le disque de Gaëlle Arquez était attendu. Trop attendu, peut-être, en oubliant qu’un monde s’étend entre des prestations très admirées sur scène et ce que l’on peut donner en studio, surtout lorsqu’on jette son dévolu sur des pages bien connues, où les références ne manquent pas.
De grandes qualités sont ici manifestes : un art de la déclamation, d’abord, qui s’appuie à la fois sur une articulation toujours claire – la chose est devenue assez peu courante pour être soulignée, même ou surtout chez les francophones – et sur une réelle élégance de la ligne de chant. Quant au timbre, c’est bien grâce à ses belles couleurs sombres que Gaëlle Arquez a pu basculer du répertoire de soprano vers celui de mezzo. Dans la musique baroque, où on l’a beaucoup entendue à une époque, ces distinctions n’ont pas tout à fait le même sens que dans des partitions plus tardives, et l’on distingue plutôt entre dessus et bas-dessus, ou ce qu’il était convenu d’appeler « rôles à baguette », les magiciennes et les reines. Si elle a remporté un grand succès en Armide de Gluck, en scène à Vienne, puis en concert à Paris à l’automne dernier, la chanteuse est-elle pour autant prête à affronter l’équivalent romantique de ces rôles à baguette ?
Il faut d’abord reconnaître que le programme du disque inclut un certain nombre d’airs auxquels l’étiquette « mezzo » n’est pas attachée de manière indiscutable, puisque d’illustres sopranos ont pu être parfaitement crédibles en Charlotte, en Marguerite de La Damnation de Faust, ou même en Carmen. Pour le reste, c’est surtout, et assez logiquement, dans les personnages de jeunes femmes, comme Mignon, que Gaëlle Arquez se révèle le plus convaincante. S’il est bienvenu d’être allé chercher l’air du rôle-titre de Cléopâtre de Massenet, l’étrange façon dont sont appuyés les mots « le poison » (do – si bémol – do sous la portée) ferait presque douter de l’adéquation entre la voix et la partition. Si nous avons bien affaire à une mezzo-soprano, elle ne possède sans doute pas encore toute l’ampleur nécessaire à certains rôles : sa Margared, par exemple, encore trop appliquée, supporterait mal la comparaison avec les grandes titulaires du passé, malgré tout le soin avec lequel Paul Daniel dirige l’orchestre de Bordeaux Aquitaine pour éviter de couvrir la voix.
Il y a aussi ces personnages par lesquels la chanteuse ne semble hélas pas assez concernée, pas autant qu’il le faudrait pour pleinement leur donne chair. Sur ce plan, le meilleur de ce programme se superpose aux rôles dont Gaëlle Arquez a l’expérience scénique, comme le reflète clairement l’air d’Armide, remarque qui vaut aussi pour Carmen. Peut-être alors aurait-il fallu concevoir un programme différent, moins ambitieux, mieux adapté aux moyens actuels d’une artiste dont on attend beaucoup. Même lorsque le disque s’éloigne résolument des sentiers battus, ce n’est pas de façon très habile. La Clytemnestre qui valut à Wormser son Prix le Rome en 1875 est une rareté et, par un clin d’œil amusant, permet de boucler la boucle après la Clytemnestre de Gluck sur qui s’ouvrait le disque. Sauf que cet air a précisément été gravé il y a quelques années par Marie-Nicole Lemieux, avec de tout autres moyens : mauvaise pioche, donc. Alors qu’il y a tant d’opéras qui ne demandent qu’à être redécouverts, ne serait-ce qu’à travers un seul air.