Nous découvrons un ensemble canadien, ArtChoral, et son chef Matthias Maute, dans un vaste projet discographique commencé en 2022, qui se poursuit à un rythme régulier. On peine à comprendre la destination de cette série, à un moment où chacun peut avoir accès à un nombre prodigieux d’œuvres et d’interprétations. Surprenante aventure, comme si les pendules avaient retardé de cinquante ans ou davantage. Alors que chaque domaine historique de notre patrimoine musical a vu depuis quelques décennies une floraison d’ensembles spécialisés, historiquement informés, rendre vie à un nombre incroyable d’œuvres, n’est-il pas vain d’ambitionner couvrir six siècles de musique, quelles qu’en soient les caractéristiques stylistiques, dans une approche globale quasi indifférenciée ?
L’interprétation est soignée, léchée, mais aussi quelque peu convenue ou surannée, qu’il s’agisse des conditions historiques de création de chacune de ces œuvres (interpréter systématiquement des œuvres sacrées de Mozart avec un piano forte interroge), comme des effectifs mobilisés. Ici et là, on apprécie l’homogénéité, la souplesse, la dynamique (L’Alleluia bondissant de O sacrum convivium de Gabrieli), la riche polyphonie allant jusqu’aux douze voix chez Lassus.
La présentation synthétique – bilingue – de la période et des compositeurs auxquels le programme emprunte ses œuvres est réalisée avec soin. Les textes sont reproduits dans leur langue d’origine, avec leur éventuelle traduction en français et en anglais. Mais la réalisation laisse perplexe : autant la qualité musicale en est manifeste, servie par des interprètes remarquables, autant les choix, arbitraires, et surtout les modes d’interprétation laissent dubitatif. L’Ensembla ArtChoral, auparavant Ensemble vocal Arts Québec, chœur professionnel, œuvre depuis plus de quarante ans à la diffusion du répertoire le plus large. Son activité force l’admiration. Il a suscité ainsi la création de douze opéras depuis 2018. Par contre son ambitieux et sympathique projet de témoigner de six siècles de musique chorale interroge : 15 albums, 15 vidéos de concert avec 150 vidéoclips, réalisés par la même formation où chaque partie comporte trois chanteurs . Le chef, Matthias Maute, formé Outre-Atlantique où il est reconnu comme un acteur majeur de la vie musicale, a dirigé auparavant la Bach Society du Minnesota.
La « grande tradition », à laquelle se réfère l’ensemble laisse pantois. Nous sommes un peu hors du temps, qui semble s’être arrêté il y a une cinquantaine d’années (où les Philippe Caillard, Stéphane Caillat, Michel Corboz, et autres, animaient avec bonheur des chœurs de même format). Ainsi, la Bataille de Janequin est-elle remarquablement chantée, avec une belle agilité, comparable à celle d’ensembles à une voix par partie, l’articulation en est irréprochable, mais l’esthétique en est surannée. Le non moins célèbre Mille regrets, de Josquin, pris très allant, surprend par sa reprise étrangement ornée.
Le volume centré sur le baroque confirme cette observation : quelle que soit la beauté des voix, les madrigaux (Monteverdi et Gesualdo) relèvent d’une esthétique totalement dépassée. Par ailleurs, la basse continue n’apparaît nulle part, y compris dans un arrangement à quatre voix d’une pièce de Schütz écrite expressément pour ténor …et b.c. , comme si l’immense œuvre ne suffisait pas à trouver une pièce authentique répondant aux attentes.
Le répertoire « classique » vaut pour les trios et quatuors de Haydn, savoureusement restitués, avec piano-forte. Incongrue, une étonnante transcription de l’andante sostenuto de la Mondschein Sonate, transformée en Kyrie par Gottlob Benoît Bierey, obscur et laborieux contemporain de Beethoven. Non moins surprenant, un Agnus d’une messe de Haydn accompagné, lui aussi, au piano. On ne comprend pas. Que de talents gaspillés ! La prise de son, inégale, est parfois confuse. Quant au minutage de chacun des CD, il est franchement pingre : aucun n’outrepasse les 43 minutes… Oublions, encore que ponctuellement, tel ou tel enregistrement pourra intéresser des choristes, certains chefs de chœur ou des amateurs de chant polyphonique, naïfs ou nostalgiques. Nous n’en sommes pas, vous l’aurez compris.