Sans être nécessairement un des opéras les plus réussis de Verdi, Attila jouit d’une certaine faveur en tant qu’écrin pour les grandes basses, trop heureuses de se voir enfin consacrer un rôle de premier plan. Au DVD, Evgueni Nesterenko, Samuel Ramey, et plus récemment Orlin Anastassov s’y sont illustrés. L’Attila de l’intégrale Verdi chez C Major ne saurait rivaliser avec les grands noms d’un passé plus ou moins proche. Trois ans après l’Oberto qui ouvrait chronologiquement cette série de DVD, Giovanni Battista Parodi a acquis une assise vocale plus solide et il possède toutes les notes du rôle. Hélas, il lui manque cruellement ces éclairs de sauvagerie qui lui permettraient d’incarner un authentique personnage, et le chef des Huns n’est ici qu’un gentil nounours, malgré les oripeaux assez inspirés dont le pare Carlo Savi : peau bleutée comme les créatures d’Avatar, peintures corporelles et tignasse épaisse à la manière de Braveheart, crânes humains ou animaux en guise de couvre-chef, on n’a pas lésiné sur le barbare. Le décor renvoie aussi au cinéma, ou plutôt à l’univers des jeux vidéo, avec son grand écran en fond de scène, où des films évoquent plutôt bien les différents lieux de l’action, dans une esthétique très « virtuelle » cependant. Sur la scène minuscule du Teatro Verdi de Busseto, les images qui défilent à l’arrière-plan se substituent opportunément à tout véritable élément de décor. De manière curieuse, cependant, lorsque les chanteurs veulent s’avancer jusqu’au bord de la fosse, ils profitent presque systématiquement d’une ritournelle orchestrale pour faire un petit détour par les coulisses : la chaleur d’un mois d’octobre italien ou la poussière du lieu leur imposait-elle d’aller boire un verre d’eau avant chaque cabalette ? Mystère. En dehors de l’opposition soulignée entre l’univers primitif des Huns et celui, plus policé, des Romains, Pierfrancesco Maestrini reste discret dans sa mise en scène, malgré une apparition initiale d’Attila descendant des cintres comme un deus ex machina.
Autour du héros, on entend des voix jeunes, mais parvenues à des degrés divers de maturité. Sebastian Catana est un bon Ezio, doté d’un timbre de baryton d’une belle densité, qui devrait rapidement pouvoir accéder à des rôles verdiens plus lourds. La carrière de Roberto De Biasio n’a vraiment démarré qu’en décembre 2006, et cela s’entendait encore en 2010 : ce jeune ténor italien a un potentiel certain, qui demandait toutefois être un peu plus canalisé, afin de discipliner des sonorités parfois trop ouvertes. La voix a néanmoins de bien jolies couleurs, à condition qu’on la laisse s’épanouir sur la brusquer. Cette sagesse a-t-elle manqué à Susanna Branchini ? L’ascension professionnelle ultrarapide qu’a connue en Italie cette soprano de père italien et de mère antillaise lui a valu d’assumer les rôles les plus lourds des répertoires verdien et puccinien, et comme on pouvait s’y attendre, cela n’a pas manqué d’avoir des conséquences sur sa façon de chanter. Scéniquement, l’actrice a fière allure, dans le costume de Barbarella antique qu’on lui a réservé ; elle a toute la fougue qui manque à son ennemi Attila et darde ses aigus avec la vigueur d’une Brünnhilde. Hélas, elle est loin d’être aussi agréable à entendre, un vibrato large est déjà bien présent, les notes les plus hautes ont tendance à vous vriller les oreilles, et la vocalisation n’est pas très nette. Cette Odabella est une virago, ce que peut évidemment être la « vierge guerrière » qui veut venger son peuple en assassinant le chef des Huns, mais c’est là négliger un peu trop la composante belcantiste d’une partition composée par Verdi moins de dix ans après son premier opéra : si son « Santo di patria » peut impressionner, « Liberamente or piangi » lui convient moins. Espérons que le style tardif d’Aïda lui siéra mieux, car C Major doit prochainement publier le DVD où elle incarne la princesse éthiopienne, également capté à Busseto. Dommage que les deux têtes d’affiche déçoivent par certains côtés, car dans sa direction d’orchestre, Andrea Battistoni excelle, lui, à mettre en valeur les beautés de cet opéra où Verdi a particulièrement soigné l’évocation des sites naturels.