« Walkyrie française », « wagnérienne enragée » « qui court à Vienne dès que l’auteur du Tannhäuser a produit le quart d’un morceau », Augusta Holmès a muri son art – total – de la composition à l’écoute des opéras de Richard Wagner. A l’exemple de ce dernier, la musicienne a le souffle large, l’orchestre expressif, le leitmotiv facile. Comme lui, elle écrit le texte de ses livrets. Ses quatre ouvrages lyriques – Astarté (1870) ; Lancelot du lac (1870) ; Héro et Léandre (1875) ; La Montagne noire (1884) – se ressentent de cette influence. Seul le dernier fut représenté du vivant de la compositrice, le 8 février 1895 à l’Opéra de Paris, sans succès. Insuffisamment wagnérienne pour les wagnériens, l’œuvre l’était trop pour les contempteurs du Maître de Bayreuth. « Aussi longtemps que Mlle Holmès n’a eu les yeux fixés que sur Richard Wagner, elle nous a paru plus grande qu’elle n’était en réalité ; depuis qu’elle s’est tournée exclusivement du côté de M. Massenet, elle s’est « féminisée » et a perdu en changeant d’objectif, une notable partie de sa valeur », écrit Le Moniteur universel au lendemain de la création de l’œuvre. Il est fascinant, à la lecture de la monographie d’Hélène Cao de réaliser combien à la fin du XIXe siècle Wagner s’impose comme le mètre étalon de la critique musicale.
Avant tout, Augusta Holmès a pour premier désavantage de ne pas être un homme en un temps qui estimait que « les femmes ne sauraient devenir de grandes compositrices » Consciente de ce handicap, elle publie ses premières partitions sous le pseudonyme d’Hermann Zenta puis décide, non sans courage, d’assumer son genre et de reprendre son nom. Paradoxalement, c’est aujourd’hui à sa condition féminine qu’elle doit le regain d’intérêt autour de sa personne, plus que de son œuvre. Il faut hélas le reconnaître. Pour quelques mélodies tirées de l’oubli à l’occasion de récitals ou d’enregistrements à thème, tel le coffret Compositrices récemment publié par le Palazzetto Bru Zane, combien de partitions sommeillent encore dans l’attente d’une improbable exhumation ? Quel théâtre aura l’audace de créer Astarté, Héro et Léandre ou Lancelot du lac, à peine évoqués par Hélène Cao dans son livre faute de témoignages et de documentation ? Pourquoi l’Opéra national de Paris, dans un geste patrimonial relevant de ses missions, n’offre-t-il pas une deuxième chance à La Montagne noire ? La réponse tient à la crise économique et culturelle qui ronge notre époque et empêche de déroger à une programmation conformiste. Il y a fort à parier que le titre ne parviendrait pas à remplir la salle et par voie de conséquence les caisses.
Qu’elle est donc loin la renaissance appelée de ses vœux par Hélène Cao en conclusion de son livre. Aux obstacles qui entravèrent la carrière d’Augusta Holmès, aux difficultés inhérentes à la conjoncture actuelle, s’ajoute l’inquisition wokiste qui aveuglée de revanche oublie de replacer les œuvres dans leur contexte avant de les censurer. Le patriotisme de la compositrice, échaudée comme ses contemporains par la défaite française de 1870, se traduit par la mise en musique de vers qui, pris au pied de la lettre, feraient aujourd’hui grincer des dents – « Ô bien-aimée ! entends ta race qui te prie / Ardemment prosternée au pied de tes autels ». Le combat mené par la musicienne pour s’imposer en tant que femme dans un univers d’homme l’a empêchée de s’engager sur la voie de la modernité. « Elle a tant voulu conquérir son temps qu’elle ne l’a pas dépassé. », résume Hélène Cao qui, avec cet ouvrage, rend en toute objectivité à une personnalité hors du commun la place singulière qu’elle occupe dans l’histoire de la musique.