Dans leur désormais célébrissime duo (merci British Airways), Lakmé et Mallika s’en vont cueillir les lotus bleus. Et dans Le Lotus bleu, Tintin croise à plusieurs reprises un illuminé qui lui répète cette question : « Avez-vous trouvé la voie ? » Une chose est sûre, l’Opéra de Sydney n’a pas encore trouvé la voie de la modernité. Paradoxe étrange : ce bâtiment, jadis emblématique d’un certain avant-gardisme architectural, semble principalement accueillir des productions d’une ringardise presque touchante à nos yeux d’Occidentaux habitués aux concepts de l’eurotrash, comme diraient nos amis américains. Peut-on supposer que cet ultra-kitsch soit ici servi en trente-septième degré ? Pour qu’on puisse le croire, il aurait fallu s’abstenir d’ajouter aux fleurs géantes stylisées en deux dimensions des parterres de plantes en plastique et des guirlandes de feuillage artificiel. Imiter le graphisme des miniatures mogholes n’était pourtant pas une mauvaise idée, même si le costumier n’y est pas allé avec le dos de la cuiller : en comparaison, les protagonistes de La Bayadère de Noureïev à Garnier paraîtraient presque pauvrement vêtus !
Au moins l’Opéra de Sydney a-t-il trouvé les voix, pour le couple central, à défaut d’avoir toujours le physique ou le jeu d’acteur idéal. Tout œillades aguicheuses et sourires ultra-bright, Emma Matthews n’est scéniquement pas Lakmé, l’inaccessible déesse vivante troublée par le souffle nouveau dont s’anime la nature. Et même l’air des clochettes, que la fille de Nilakhanta interprète à contrecoeur, réduite au rang d’instrument de la vengeance paternelle, devient ici un numéro quasi bollywoodien, l’air mutin et espiègle de l’héroïne montrant une fois de plus combien on passe à côté du personnage. Vocalement, en revanche, l’adéquation est totale, et la chanteuse sait nous toucher. On pourrait dire la même chose d’Aldo di Toro, qui serait un Gerald tout à fait acceptable s’il n’était le parfait sosie de Pierre Mondy, ce qui, pour ce rôle de jeune premier, est un peu gênant, à l’image en tout cas ; par ailleurs, si le style est juste, mieux vaut oublier, en termes de nuances, ce qu’Alain Vanzo parvenait à faire de « Fantaisie, ô divin mensonge », rien qu’en respectant à la lettre les indications piano ou forte de la partition. Stephen Bennett impressionne en brahmane au crâne rasé, drapé dans sa robe blanche. Dommage que la voix soit moins impressionnante, un peu trop légère pour un rôle qu’on entend trop rarement confié à la basse pour laquelle il fut écrit. Et le rythme rapide auquel est pris « Lakmé, ton doux regard se voile », ne contribue nullement à rendre cet air aussi inquiétant qu’il devrait l’être.
Emmanuel Joel-Hornak dirige en effet son orchestre avec beaucoup d’allant, parfois presque trop. Certes, il est bon de ne pas s’alanguir dans cette musique fin-de-siècle, mais le refus de l’amollissement est ici poussé un peu trop loin. Malgré tout, pour une première au DVD (l’antique version Sutherland, également filmée en Australie, existait en vidéocassette mais semble ne jamais avoir été commercialisée sous la forme d’un DVD visible en Europe), l’œuvre s’en tire plutôt bien : évidemment, le ballet est coupé, comme c’est hélas devenu la règle dans les théâtres, mais il faut saluer, pour les principaux protagonistes, la qualité remarquable du français chanté, de la part d’artistes des antipodes.