Bien plus que de « bacchanales », c’est de bucoliques qu’il s’agit avec cette œuvre de Steffani, dont la durée n’atteint pas une heure et demie. Dans cette pastorale, les interventions divines ne font qu’encadrer l’action : le prologue déclamé par Atlas, et une intervention finale de Bacchus vient dénouer l’intrigue. Enfin, si tant est que l’on puisse parler d’une intrigue, en l’occurrence, à propos de ce chassé-croisé entre deux nymphes, une dryade et quatre bergers. On danse, on rit, on gémit, on se moque, on joue à colin-maillard, on déplore l’inconstance des amants, mais il n’y aura pas de fin heureuse où chacun trouve sa chacune (le nombre impair des personnages ne le permet pas). Inconsolables, Ergaste et Dryade préfèrent s’enfuir, et les autres s’amusent des fêtes bachiques sur lesquels l’opéra se conclut.
Dramatiquement, donc, une bergerie sans grand intérêt. Musicalement, rien de renversant, mais la partition se laisse écouter agréablement. On n’est pas si éloigné de Lully, mort moins de dix ans auparavant, avec malgré tout une veine italienne plus libre de s’exprimer : un peu plus de virtuosité que n’en admet en général la tragédie lyrique. Malgré les moments de rage ou de désespoir, exprimés à travers des récitatifs soignés préparant une belle aria qui rappelle parfois la tradition de l’air de cour, l’humeur est surtout au divertissement, avec échange de distiques chantés tantôt par deux nymphes, tantôt par deux bergers.
Le livret d’accompagnement étant particulièrement avare d’informations sur les interprètes, il faut partir à la chasse aux renseignements. Sur l’orchestre, d’abord : l’Ensemble Cremona Antiqua, fondé en 2004 par Antonio Greco, signe avec ce live son premier enregistrement commercialisé. Composé de dix instrumentistes, il tient ici dignement son rôle et, dans le cadre intime du cloître San Domenico, il soutient correctement les voix.
Quant aux chanteurs, on imagine bien que le festival de Martina Franca n’a pas confié à des stars cette œuvre d’un compositeur encore assez confidentiel malgré le soutien de divers grands noms depuis quelques années. Rien ne l’indique sur le disque, mais il s’agit ici de l’atelier de l’Accademia del Belcanto « Rodolfo Celletti » (l’année précédente, Antonio Greco avait dirigé de jeunes chanteurs dans Le Couronnement de Poppée).
De jeunes artistes, donc, parmi lesquels on distingue déjà quelles belles voix. Chiara Manese est une mezzo très prometteuse, au timbre séduisant, qui prête au berger Fileno des accents touchants. Les deux nymphes sont interprétées avec beaucoup d’entrain par les sopranos Vittoria Magnarello et Paola Leoci. Des trois autres bergers, on retiendra surtout Ergasto, le délicat ténor Yasushi Watanabe. La basse Nicolò Donini possède également une étoffe appréciable dans le bref rôle d’Atlas. Quant aux autres, la jeunesse de leur voix s’entend hélas à travers certaines acidités ou un assez criant manque de chair.