Petit à petit, la période contemporaine s’attache à restaurer leur juste place aux compositrices du passées, laissées de côté par l’histoire de la musique. La parution d’un enregistrement d’une trentaine d’œuvres pour piano et mélodies d’Agathe Backer Grøndahl fait figure de nécessité historique à cet égard, tant le talent de la compositrice norvégienne s’impose avec évidence, dès la première écoute.
Née en en 1847, Agathe Backer Grøndahl, est pourtant, paradoxalement, mondialement acclamée et reconnue de son vivant comme l’une des meilleures pianistes et compositrices d’Europe. Contemporaine et amie d’Edvard Grieg, elle décide dès ses dix-huit ans d’embrasser une carrière de pianiste et se forme à Berlin puis à Florence. Elle est très vite repérée et se produit sur toutes les scènes européennes de premier plan. Soliste hors pair, considérée comme une figure précurseure de l’impressionnisme norvégien, elle laisse derrière elle une œuvre d’ampleur, soit près de 400 morceaux, pour piano et pour chant.
Le programme de l’enregistrement est somptueux à plus d’un titre. Tout d’abord, les trente-deux morceaux retenus s’étendent sur toute la période d’activité de l’artiste, permettant d’apprécier l’évolution, ou du moins, les inflexions, de son style tout au long de sa carrière. Ensuite, ont été retenus tant des morceaux pour piano que des mélodies, ce qui permet de donner à entendre l’étendue de la palette d’Agathe Backer Grøndahl. Enfin, le choix, en particulier des mélodies, offre un condensé de thématiques et de registres variés. L’auditeur, au travers des poèmes choisis par la compositrice, est ainsi plongé dans une atmosphère empreinte de tristesse, à la tonalité toute romantique, marquée par une prégnance forte de la nature et une emprise de la nuit et de la tempête.
Karen Vourc’h déploie toute sa sensibilité au service de magnifiques portées. La soprano met en valeur tantôt le lyrisme expressif des pièces, tantôt leur dépouillement quasi dépressif. L’enregistrement est encadré par deux morceaux a cappella qui plongent immédiatement l’auditeur dans l’univers très singulier d’Agathe Backer Grøndahl. Le chagrin, le regret, la déception, la dérive : la voix de Karen Vourc’h transmet toutes les inflexions de la mélancolie avec le talent qu’on lui connaît. Au piano, Anne Le Bozec retranscrit avec art la finesse et la subtilité de la compositrice. L’audacieux côtoie la brillance d’un style romantique, particulièrement dans le cycle des dix Fantasistykker. Anne Le Bozec restitue ainsi la cohérence d’un caractère dont l’architecture prend pourtant des formes particulièrement très diversifiées.
Cet enregistrement est ainsi une formidable réussite qui donne envie de connaître le reste de l’œuvre d’Agathe Backer Grøndahl !