A propos de son disque Britten, sorti en 2012, nous nous étonnions déjà de certains choix radicaux opérés par Mark Padmore dans son émission même. Le ténor britannique ne recule devant rien lorsqu’il s’agit de parvenir à ses fins dans le domaine de l’expressivité, et ses choix guident son interprétation jusqu’au bout, avec une intransigeance qui force l’admiration. Alors qu’il travaille avec le pianiste Paul Lewis pour ses Schubert, il a choisi, pour ce programme viennois post-classique et pré-romantique, de collaborer à nouveau avec l’un des meilleurs pianofortistes d’aujourd’hui, le Sud-Africain Kristian Bezuidenhout, déjà son complice pour un Dichterliebe sorti en 2010. Les sonorités de l’instrument sont encore plus à leur place ici que dans Schumann, et lorsqu’il est ainsi joué, le pianoforte devrait convaincre les plus réfractaires.
Mais venons-en à ce qui fait l’étrangeté du chant de Mark Padmore, où l’on retrouve cette quasi schizophrénie relevée en 2012. Cette fois, à côté d’un style ouvertement lyrique, tel qu’on l’attend d’un chanteur qui aborde ce répertoire, on entend aussi d’étranges notes droites, plates, délibérément dénuées du moindre vibrato. Pourquoi cette dualité ? On pense à un désir de simplicité populaire, une volonté d’émettre des sons « non travaillés », avec une voix naturelle qui permettrait d’échapper à un art synonyme d’artifice. Comme désireux d’amenuiser le son, Mark Padmore ose une « petite voix » presque enfantine, parfois comparable à ce que propose un Klaus Florian Vogt dans Wagner.
C’est évidemment plus ou moins sensible selon les morceaux. C’est très frappant dans les premiers Haydn, où ce naturel recherché correspond bien à la gravité des vers de Shakespeare admirablement mis en musique dans « She never told her love », et cela passe fort bien aussi pour « The Spirit’s Song », sur un texte d’Anne Hunter, poétesse anglaise du XVIIIe siècle. Il n’en est plus question pour la Petite cantate allemande de Mozart, véritable air d’opéra (ou peut-être plutôt de singspiel). Dans les Beethoven, seule la Chanson de la puce (« Aus Goethes Faust ») appelle des accents nasillards et sarcastiques, dont Mark Padmore n’est pas avare. Le cycle dédié A la bien-aimée lointaine est interprété avec un mélange bienvenu de délicatesse et de passion, avec une riche palette de nuances dynamiques.
Un disque qui pourra irriter par certains choix, mais qui ne devrait en tout cas pas laisser indifférent.