Avis aux amateurs de streaming : ce coffret doit être acquis physiquement. Les différentes versions proposées en format virtuel sont à fuir, tant la prise de son y apparaît défigurée, même sur les plateformes « haute-définition ». Le chef fait le choix d’un effectif plutôt léger et d’une approche aérée, de type « historiquement informée », mais il n’y a qu’un pas du dégraissage à l’anorexie, et le format internet ne permet pas de goûter au subtil équilibre inventé ici.
C’est que Yannick Nézet-Séguin a pas mal de choses nouvelles à proposer. Pas au niveau de l’édition, en dépit des efforts marketing de Deutsche Grammophon pour nous convaincre. Le packaging du coffret et une notice prétentieuse à souhait enfoncent le clou : tout ce que nous allons entendre ici est inédit et inouï. Que l’auditeur lambda ne s’inquiète pas de ne percevoir aucune différence de texte à l’écoute de cette nouvelle intégrale. L’éminente professeure Beate Angelika Kraus, chargee par Breitkopf et Härtel de mettre au point ce Urtext finit par reconnaître elle-même que « bien sûr, de tels détails ne sont pas décelables à l’écoute, mais ils reflètent la pensée de Beethoven et sont importants pour le texte en tant qu’œuvre écrite.» Le talent des responsables de vente est sans limite…
Si YNS parvient à s’imposer dans une discographie ultra-pléthorique, ce n’est pas par des arguties musicologiques, mais bien par l’incroyable énergie qui émane de sa direction. Comme dans ses intégrales Schumann et Mendelssohn. Il n’est pas une minute où la vitalité n’explose, avec un drive tout simplement irrésistible d’allant et d’optimisme. Certes, bien des chefs depuis Toscanini ont cultivé un Beethoven sec et impérieux, et la vague baroque n’a fait que renforcer cette tendance, mais Nézet-Séguin ne se contente pas de filer à toute vitesse. Il « incarne » la force motrice avec mille détails, que ce soit le traitement des bois, merveilleusement étagés, ou dans une façon délicieuse de faire sonner les cuivres du Chamber Orchestra of Europe, qui semblent constamment prêts à en découdre et comme surgissant de l’ombre à chaque sollicitation du chef. Idem avec des timbales qui ont mangé du lion.
Ce Beethoven hormonal donne des réussites particulièrement marquantes dans les Première, Deuxième, Quatrième et Huitième, qui sont celles auxquelles ce type d’approche convient naturellement. De façon plus surprenante, les résultats sont tout aussi probants dans une Héroïque qui semble avoir été enregistrée sur le champ de bataile d’Austerlitz, avec une cavalcade à faire tourner la tête, qui n’empêche pas le chef québecois de magnifier l’un ou l’autre détail au passage. Le même élan couplé à un sens du phrasé très personnel permet à la Septième de tenir un rang plus qu’honorable. La Pastorale surprend positivement, tant c’est là qu’achoppent la plupart des interprètes modernes, par manque de couleurs. L’orchestre sait s’y montrer scintillant et n’hésite pas à livrer un vibrato plus généreux pour rendre l’idée d’une contemplation de la nature. La Cinquième est un premier creux : en dehors de quelques « tics », comme l’absence de point d’orgue dans le premier thème, le chef semble à court d’idées, et le fait d’omettre la reprise du scherzo pour observer celle du finale déséquilibre l’ensemble de la structure.
Hélas, la Neuvième suscite une déception pire encore. D’abord parce que les attentes se sont accumulées au fur et à mesure de la découverte du coffret, et qu’on attendait une version de référence, qui puisse porter fièrement les couleurs de la modernité face aux grands anciens. Mais le geste nerveux de YNS paraît soudainement un peu petit pour une œuvre qui prétend figurer le cosmos entier ; ce jeu constamment émacié et transparent ne fonctionne plus aussi bien lorsque le propos se charge d’enjeux métaphysiques. C’est particulièrement sensible dans l’adagio molto e cantabile, pris a un tempo pourtant plus lent que le reste. Mais il ne suffit pas de traîner pour rendre un propos profond, et la mécanique orchestrale y tourne a vide. Le problème s’aggrave dans le finale, avec un chœur Accentus de 45 chanteurs, qui ne fait tout simplement pas le poids malgré la qualité de sa préparation. D’autant que ce qu’on perd en impact physique, on ne le gagne pas nécessairement en transparence. C’est dommage, parce que le plateau de solistes tient lui toutes ses promesses : Siobhan Shagg est comme en lévitation, Ekaterina Gubanova confirme son format dramatique, ici tout à fait en situation, Werner Güra se révèle capable d’un héroïsme surprenant, et Florian Boesch articule son texte avec beaucoup de clarté. On sent que le chef d’opéra a mis du temps à constituer son équipe, en tenant compte du mariage entre les timbres. Mais tout cela ne suffit pas à imposer une Neuvième à la hauteur des références de ces dernières années que sont Barenboim ou Blomstedt. Dans le style beethovenien sur-vitaminé, Manfred Honeck était finalement plus convaincant et plus cohérent. Un coffret à ranger dans la catégorie instrumentale de vos étagères.
Beethoven, Intégrale des symphonies – Yannick Nézet-Séguin
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Note ForumOpera.com
Infos sur l’œuvre
Ludwig van Beethoven (1770-1827), Symphonies 1 à 9
Détails
Siobhan Stagg
Soprano
Ekaterina Gubanova
Alto
Werner Güra
Ténor
Florian Boesch
Basse
Chœur Accentus
Chamber orchestra of Europe
Direction musicale
Yannick Nézet-Séguin
Coffret 5 CD Deutsche Grammophon, 4863050, enregistré à Baden-Baden en juillet 2021, 5h47′
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Ludwig van Beethoven (1770-1827), Symphonies 1 à 9
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Soprano
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Alto
Werner Güra
Ténor
Florian Boesch
Basse
Chœur Accentus
Chamber orchestra of Europe
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Yannick Nézet-Séguin
Coffret 5 CD Deutsche Grammophon, 4863050, enregistré à Baden-Baden en juillet 2021, 5h47′
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