Mission quasi impossible pour le critique : que dire d’original, de neuf, et si possible d’intelligent/intelligible à propos d’une nouvelle version d’un monument aussi impressionnant que la Missa Solemnis de Beethoven ? De surcroît portée par un chef, une équipe, qui n’ont plus rien à prouver quant à leur culture de ce répertoire, à la pertinence de leur recherche interprétative.
On va donc s’en tirer – que le lecteur me pardonne par avance ou qu’il renonce à lire ce qui suit ! – par une série d’impressions, de sentiments, par rapport à l’oeuvre elle-même, et bien entendu, en fonction de ce qu’on entend sur ce disque, et de ce que cette écoute provoque.
René Jacobs évoque lui-même, dans un long et passionnant entretien qui figure, en partie, sur le livret du disque, et dans son intégralité sur le site d’Harmonia Mundi, les images, les figures qu’il distingue dans «une oeuvre rude et inconfortable pour les interprètes comme pour le public » »(sic). Ainsi le « qui sedes » du Gloria, qui fait « vrombir la rupture harmonique la plus radicale de toute la composition » lui évoque Le Cri d’Edvard Munch !
Une oeuvre « inconfortable », c’est bien le mot ! Expérimentale d’abord, par sa longueur, par les collages stylistiques auxquels procède Beethoven, de la référence explicite aux maîtres du passé, à son aîné Haydn, à des fulgurances futuristes. On peut d’ailleurs se livrer (ce qui m’arrive souvent quand j’écoute cette Missa solemnis !) à une écoute séquencée, partielle (le Gloria par exemple), sans avoir l’impression de perdre le fil d’un discours qui est discontinu. A ce jeu-là, ce nouvel enregistrement de René Jacobs peut s’avérer passionnant, surprenant même, par l’attention portée aux détails, aux ensembles, à la mise en relief de lignes vocales et instrumentales qu’on n’avait pas reperées jusqu’alors.
D’où vient pourtant cette impression désagréable de l’absence de lignes de force, d’élan vital ? La modération des tempi ? un orchestre et une masse chorale réduits ? Trop de détails – magnifiques – au détriment de l’unité du discours ?
J’ai fait l’erreur (?) de comparer le nouveau venu avec ma version de chevet de cette Missa (la seule que j’écoute à intervalles non réguliers), celle d’Otto Klemperer (1965) où le vieux lion sort de ses gonds, entraîne tout son monde dans un irrésistible élan de ferveur, de puissance et de recueillement, et vous tient en haleine du début à la fin de ces presque 80 minutes de musique, toutes qualités qui font défaut à cet enregistrement.
Un mot des équipes que René Jacobs dirige : étant posé que les sopranos (soliste et choristes) ont des parties impossibles à chanter – c’est le chef lui-même qui le reconnaît – Polina Pastirchak et les dames du chœur de la radio de Berlin s’en tirent avec les honneurs, on aime moins la voix souvent tendue du ténor Steve Davislim. L’orchestre baroque de Fribourg est toujours impeccable, même si, comme l’a dit plus haut, on eût aimé plus de chair, plus de poids dans le dispositif orchestral. Quant au choeur berlinois qui continue de porter le titre délicieusement désuet de « choeur de chambre » du RIAS (= Rundfunk im amerikanischen Sektor/Radio in the American Sector), il confirme sa place de premier de la classe en pays germaniques.