Revenant au principe qui avait fait la réussite de son premier récital, Sirène, Anna Prohaska a composé en cette année de centenaire de la Première Guerre mondiale un bouquet de mélodies sur le thème de la guerre, en puisant dans le répertoire allemand, anglo-américain, mais aussi français et même russe. Le spectre chronologique ainsi balayé est large, puisqu’il va du XVIe siècle à nos jours. C’est dire aussi que tous les styles se côtoient ici, baroque, romantique ou moderniste, de la plus noble déclamation au Sprechgesang grinçant, avec ici et là de plus ou moins francs échos de notre Marseillaise.
Hanns Eisler va bien à la voix d’Anna Prohaska, habituée de la musique du XXe siècle, et Kurt Weill profite de ses qualités expressives, dans le martellement de la première comme dans la douceur envoutante de la dernière des Walt Whitman Songs. Quant à Wolfgang Rihm, compositeur avec qui la chanteuse a noué une relation privilégiée, on n’entendra pas ici d’une œuvre qu’il aurait destinée spécialement à la soprano, mais son tout premier opus, inspiré en 1969 par un poème de Trakl.
Ce qui rappelle le plus Sirène dans ce nouveau disque, ce sont les deux lieder assez rares de Schubert, dont le long morceau tiré du cycle inspiré par La Dame du lac de Walter Scott (les sept numéros de ce pendant germanique à la Donna del lago rossinienne sont a priori destinés à plusieurs interprètes distincts). On peut ne pas aimer l’étrangeté naturelle de la voix de Prohaska dans ce répertoire, certaines notes fixes venues tout droit de l’émission chère aux baroqueux, mais le résultat ne saurait laisser indifférent. Etrangeté qu’on retrouve dans l’extrait du Knaben Wunderhorn, avec son alternance de deux voix, celle du soldat désespéré et celle de l’énigmatique consolatrice.
Dans ce bouquet de mélodies, soutenu par le piano toujours expressif d’Eric Schneider (qui accompagnait déjà le disque Sirène), certains titres semblent animés d’une volonté de dépasser le cadre du genre. Avec sa Jeanne d’Arc sur des vers d’Alexandre Dumas, Liszt livre un opéra de Meyerbeer en miniature (huit minutes !), œuvre absolument fascinante dont on se demande quand même si elle n’appelle pas un soprano au format plus héroïque, malgré toute la conviction dont Anna Prohaska fait preuve.