Rentré victorieux à Byzance, Belisario libère ses esclaves. L’un d’eux, Alamiro, veut rester attaché à son maître. Mais le général est accusé de parricide par sa femme, Antonina, avec la complicité du chef de la garde, Eutropio, sur la foi d’une lettre falsifiée. Le Sénat et Giustiniano le condamnent. Après avoir été aveuglé, Belisario accompagné de sa fille Irene, part pour l’exil. Ils rencontrent une horde de barbares qui marche sur Byzance. Alamiro est alors identifié par Belisario comme le fils perdu ou mort, Alessi. Ce dernier et Ottario, commandés par le général sauveront l’empire. Prise de remords, Antonina avoue son mensonge à Giustiniano. Mais Belisario a été mortellement touché et meurt, avant qu’Antonina ne s’effondre à son tour.
Composé en à peine plus de trois mois, entre Naples et Venise, où les répétitions commencèrent en janvier 1836, l’opéra connut un extraordinaire succès et fut largement diffusé avant de tomber dans l’oubli. On ne connaît que deux gravures de l’ouvrage : la première, de 1969 était enregistrée à La Fenice par Gavazzeni, avec Leyla Gencer et Giuseppe Taddei, la seconde, de 2013, dirigé par Mark Elder, a été couronnée par l’Académie du disque lyrique et nommée aux International Opera Awards. C’est dire que le DVD que vient de publier Dynamic est bienvenu, d’autant qu’il se fonde sur l’édition critique la plus fiable de l’ouvrage. Ni tunique, ni chlamyde, ni péplum, pour se limiter à une version de concert, Riccardo Frizza, à la tête du chœur et de l’orchestre du Festival Donizetti de Bergame (qui l’avait déjà donné en 2012 dans une mise en scène médiocre), a réuni une belle distribution, dans l’attente, espérons-nous, d’une version scénique. On comprend mal que Belisario n’ait été remonté, tant ses qualités sont réelles. Ses seuls handicaps sont le livret, privé d’intrigue amoureuse et une prima donna incarnant un rôle antipathique. Sinon, l’écriture vocale comme orchestrale, relève du meilleur Donizetti.
L’image sur laquelle s’ouvre l’enregistrement caractérise clairement les conditions de sa réalisation : la caméra, fixe, placée derrière l’orchestre, nous montre les musiciens s’accordant, devant un théâtre vide de tout public, privé de ses fauteuils d’orchestre pour permettre la distanciation sanitaire. L’entrée du chef, masqué, s’effectue dans un silence glacial. C’était le premier confinement dont le monde du spectacle, de l’opéra particulièrement, allait durablement souffrir.
L’ouverture, après une introduction puissamment dramatique, trouve des accents plaisants et dansants, sans relation réelle avec le drame qui va se jouer (Théophile Gautier déplorait déjà ce travers du temps). La plénitude de l’orchestre, sa rondeur, valorisés par une prise de son de réelle qualité participe à la réussite du projet. Belisario est confié à Roberto Frontali, dans son élément. Mûr, vigoureux et fier, notre baryton vit son personnage et sa dimension dramatique. Si la voix a estompé le brillant de sa jeunesse pour un velours moiré, elle correspond bien à celle du général victorieux, magnanime, puis damné. Le duetto « Ah ! Se potessi piangere », l’aria « Madre, tu fosti, e moglie », puis « Sognai… fra genti… barbare » d’une sincérité touchante, son duo avec sa fille « Se vederla… » tout conduit à saluer cette interprétation appelée à faire date. Carmela Remigio chante Antonina, dont la tessiture est redoutable (le rôle fut taillé sur mesure pour Caroline Ungher, créatrice de beaucoup d’opéras de Donizetti). Elle se joue de toutes les difficultés de la partition avec un professionnalisme exemplaire. Même si la voix n’est pas celle de Leyla Gencer, la prestation est de très haut niveau. La narration du meurtre de son fils « Ascolta , e del mio sdegno », puis l’aria «Sin la tomba é a me negata» imposent déjà le personnage, sensible, douloureux et volontaire. Les nombreux airs confirmeront ses qualités musicales et dramatiques. Alamiro est incarné par Celso Albelo, ténor aux couleurs séduisantes et aux aigus clairs, sûrs et vaillants. La conduite et le soutien, la puissance dramatique n’appellent que des éloges. Le célèbre duo « Sul campo della gloria » est un grand moment. Son premier air du II « Belisario A si tremendo anunzio… », « Trema Bisancio », tout est admirable. L’autorité de l’empereur, Justinien, est bien illustrée par la voix altière, impérieuse et opulente, de Simon Lim, servie par un timbre d’airain et un soutien sans faille. Irène, la fille aimante de Belisario, est un rôle très lourd, exigeant. Il est magnifiquement défendu par Annalisa Stroppa, qui a conquis les publics des plus grandes scènes après avoir été distinguée par de nombreux concours. Son mezzo chaleureux, corsé, lui permet de donner à son personnage une existence qui nous renvoie aux relations verdiennes entre le père et sa fille. Dès son air d’entrée, la projection, la souplesse, les aigus brillants séduisent. L’expression que donne Klodjan Kacani à Eutropio, à défaut de rendre le personnage sympathique, permet d’en comprendre les ressorts. Notre ténor, à l’émission franche et solide dans son affrontement avec Belisario devant le Sénat, est superbe.
Les ensembles, tout particulièrement celui qui suit la proclamation de la culpabilité de Belisario, puis le grand finale du premier acte, comme celui du dernier, avec l’air le plus célèbre d’Antonina (« Egli è spento… ») sont autant de réussites magistrales, qui, à elles seules, appellent la résurrection de l’ouvrage. Le chœur puissant, préparé par Fabio Tartini) est d’une qualité rare : la précision, l’articulation, la projection sont au rendez-vous. Exemplaire dans toutes les expressions, il participe fréquemment à l’action. On imagine sans peine ce qu’une production scénique pourrait offrir comme cadre à cette histoire, riche en rebondissements.
Riccardo Frizza – directeur de Festival Donizetti de Bergame depuis 2017 – est totalement dans son élément. Sa familiarité à l’ouvrage, au style, aux interprètes, lui permet d’insuffler une vie réelle à cette page peu connue. Toujours soucieux du chant, il aime jouer sur les dynamiques, les contrastes et obtient de chacun le meilleur.
Le sous-titrage en six langues dont le français, en facilite l’écoute car la version diffère sensiblement de celle connue jusqu’alors. Ainsi disparaît la scène 7 du premier acte (avec l’air d’Irène « Noi corremo ver lui »).
La brochure, lapidaire, se limite à l’italien et à l’anglais.