L’histoire de la musique pour les nuls voudrait que Bach doive sa résurrection à Mendelssohn, comme les baroques leur renaissance à Harnoncourt. C’est faire peu de cas de la transmission ininterrompue de la plupart des œuvres célèbres en leur temps. Ainsi les psaumes de Benedetto Marcello, qui, depuis leur édition première, à Venise entre 1724 et 1726, ont été reproduits et diffusés à l’envi, en Italie déjà, mais aussi en Angleterre (traduits), et en France, sous leur forme première dès 1820 (par Mirecki chez Carli), puis traduite en 1841. Bien sûr les éditions s’adaptaient à la pratique du temps, la basse continue étant réalisée et réduite au piano-forte. Les paraphrases versifiées du poète Ascanio Giustiniani (à ne pas confondre avec son contemporain diplomate) des psaumes de la Vulgate ménagent pour chacun de nombreux épisodes qui appellent une illustration musicale riche et renouvelée. Synthèse de l’art instrumental et vocal, comme des styles ancien et nouveau, l’œuvre monumentale de Marcello est moins bien connue que ses concertos ou que son Teatro alla Moda. Depuis Edwin Loehrer et Michel Corboz, un peu plus d’une vingtaine des cinquante psaumes ont été enregistrés. Tous sont écrits avec basse continue, sept pour une voix seule, vingt-et-un en duos, seize en trios, et six pour quatre voix.
C’est à un retour aux sources que nous convie le présent CD. Les deux psaumes, de proportions très différentes, sont en ut mineur, le 21, « Volgi mio Dio », étant confié à une voix de mezzo (Marta Fumagalli) et le 42, « Dal tribunal augusto », à une basse, Laurence Meikle.
Leur caractère dramatique paraît évident, le sujet du premier (Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné) comme du second (Juge-moi, Dieu, défends ma cause) motivant une écriture le plus souvent tendue, de la déclamation récitative à de brèves arias, introduites et soutenues par des instruments virtuoses. Chaque verset fait l’objet de ce qu’on appellerait maintenant un numéro, avec des changements de métrique, de tempo, de ton, qui permettent de souligner le texte, souverain, toujours syllabique.
La supplique de la voix dans la première aria du psaume 21 est aussi émouvante que le début de la cantate 198 de Bach, dont la parenté est surprenante. L’accompagnement réservé aux deux altos, au théorbe et aux cordes graves participe à son caractère sombre. L’aria suivante, animée, est d’une réelle richesse d’écriture. Le deuxième verset « Nel giorno ogn’or ti chiamo », dont l’accompagnement est un motif obstiné, n’est pas moins attachant. Nous ne décrirons pas les douze arias, l’arioso et les 5 récitatifs qui composent le psaume. Signalons l’insertion en son milieu de l’intonation hébraïque « Shofet Kol Ha’aretz » [Juge de toute la terre] réservé à la voix du hazzan, qui traduit à la fois l’attachement de Marcello à sa fréquentation des synagogues du ghetto vénitien, et la dimension mystique de l’ouvrage. La voix de Marta Fumagalli, chaude, charnue, aux graves superbes, au soutien constant, comme à l’articulation exemplaire, s’inscrit dans la descendance de celle de Rinat Shaham qui offrait 3 psaumes il y a vingt ans déjà. Une réussite à souligner.
Les deux mouvements de sonate réservées au clavecin seul, apportent une lumière bienvenue et confirment la richesse de son écriture, qui n’a rien à envier à celle de ses plus illustres contemporains, Bach, Haendel tout particulièrement, mais aussi Rameau. La sonate pour violon et basse continue en mi mineur, donnée dans son intégralité, témoigne de l’art instrumental qu’il porta au plus haut niveau. Que ne le joue-t-on davantage ?
Le psaume 42, d’ampleur réduite, est très différent du 21 malgré la tonalité commune : confié à une voix de basse, il est d’une vocalité opposée : les lignes mélodiques, plus souvent heurtées que conjointes, usent d’intervalles extraordinairement larges (les sauts d’octave sont légion et s’élargissent souvent à une dixième voire au-delà). Les vocalises sont exceptionnelles (« discolto »). La grandeur du propos est la constante et le choix de la voix de basse n’est pas fortuit. Chaque verset est illustré avec la volonté du compositeur d’amplifier leur sens par la magie de la voix et des instruments. Les procédés de composition sont évidemment communs aux deux psaumes : succession, enchaînement de brèves séquences contrastées. La voix puissante, aux graves solides, de Laurence Meikle, n’est jamais prise en défaut. Quant aux six instrumentistes conduits par Lydia Cevidalli, c’est un bonheur constant que leur jeu, d’un ensemble parfait, virtuose, nerveux, réactif, toujours complice de la voix. La qualité de la réalisation de la basse continue, conduite par le théorbe est exceptionnelle. Une réalisation à marquer d’une pierre blanche, qui mérite de dépasser le cercle des passionnés de musique baroque, tant son expression est universelle.
Le livret reproduit évidemment les textes chantés, en italien et dans leur traduction anglaise.